« Un parfait inconnu » : des semelles sous le vent de l’harmonica : Dylan-Rimbaud quitte le port…
Au tout début du film de James Mangold, Timothée Chalamet qui incarne le jeune Robert Zimmerman apparaît, démarche chaloupée, guitare au côté, « on the dark side of the road » ; il quitte son Minnesota natal et monte à bord d’une voiture qui le prend en stop. C’est un vagabond à la Kérouac, une silhouette rimbaldienne qui tourne le dos à ses Ardennes et se sent appelé par les plus grands, non pas Verlaine ou Hugo, mais Woody Guthrie, Pete Seeger et Johnny Cash. L’œil ardent, impétueux, « rolling stone » et silex qui se frotte aux géants du folk, il brûle de réussir et d’enflammer les foules. Mais il déteste déjà ceux qui sont entrés dans le rang, ceux dont les chansons ont une couleur « d’aquarelles dans un cabinet dentaire » et s’amuse à critiquer les textes « trop travaillés et trop lisses » de Joan Baez.
Comme Rimbaud, Dylan est un capteur ; il écoute les sons, les reproduit à sa façon et n’en fait qu’à sa tête, devient vite « un opéra fabuleux » ; il teste tous les instruments, cherche les stridences, « les lunules électriques » et le vent de son harmonica soufflé à sa lèvre lui arrache les semelles, sème des turbulences parmi les artistes installés. « Il est jeune, tendez-lui la main » « because the times are changing ». Il a « ses éveils maritimes » : « when the ship comes in before the hurricane begins ». Un journal dit de lui qu’il est « un mix entre un enfant de chœur et un beatnick ». Il chante dans les cabarets, proteste contre la religion, l’éducation, la société, la guerre. Dressé aux côtés de Martin Luther King, il s’insurge contre la ségrégation raciale et pose les bonnes questions : « combien d’années doivent exister certains peuples avant qu’il leur soit permis d’être libres ? » Et, à l’heure de la crise des missiles de Cuba, dans une autre « protest song », il rugit contre « les crachats rouges de la mitraille » et « la folie épouvantable » qui s’empare du pays : « combien de fois doivent tonner les canons avant d’être interdits pour toujours… The answer my friend is blowin in the wind »
Et puis il regarde les filles, la jolie Joan Baez qui l’écoute chanter dans une sorte de nouveau « Cabaret vert » : « celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ». « Mr Tambourine man » l’embarque dans ses chansons et les courbes de sa guitare. Mais « adios Angelina, le ciel est en feu et je m’en vais… ». « Adieu » : c’est le mot de Rimbaud à la fin de sa « Saison en enfer », et c’est aussi celui de Dylan qui voulait « changer les moralités mais aussi les tonalités ».
Alors « le parfait inconnu aux semelles de vent » tourne casaque, « quitte la ferme de Maggie » et laisse derrière lui « des tas de boue » ; la guitare s’électrise, c’est sa « saison en enfer ». Excité comme « un peau rouge criard » et masqué derrière ses lunettes noires, au Festival de Newport il provoque un public conquis venu écouter du folk et sidéré de recevoir ces pierres que le forcené à la guitare électrique lui lance en pleine face : « How does il feel to be on your own, like a rolling stone ? » Le temps est venu de tout casser, de tout renier et de laisser le bateau « aux clapotements furieux des marées » : « then the tide will sound and the wind will pound. »
https://youtu.be/hzmk9kqBH8o?si=vyi50zgnTSXZSGRq