Dosette de lecture n°149 : Jean Rouaud : « Les Champs d’honneur », les gaz d’échappement de l’oubli.
Que reste-t-il en mémoire de cette « Loire inférieure » où a grandi l’auteur ? Les marques de la pluie, crachin, brume de marée, averses de printemps, signes divers de l’eau, les mouettes de l’Atlantique qui refluent dans les terres, les gouttes qui filtrent à travers la carrosserie rincée de la 2CV du grand-père, sorte d’ex-voto d’une époque, comme la silhouette résistante de la grand-mère.
Les uns après les autres, le roman fait défiler les personnages hauts en couleurs et en même temps si fragiles et humains comme la petite tante institutrice et acharnée dans sa mission, ou bien les objets humbles ou dérisoires posés en décor dans la maison, dentiers, alliances des morts, vieilles photos qui renvoient peu à peu à la figure discrète du narrateur qui se penche « sur ses anciens ».
À force de creuser le sillon du Temps, la narration fait émerger le gaz nauséabond des « champs d’honneur » et la voix brisée derrière le souffle, les poumons brûlés sous la vareuse de Joseph ou sous celle de son frère Emile, dissocié de lui sur le monument aux morts, comme un vague cousin : « Nous n’avons jamais écouté ces vieillards de vingt ans dont le témoignage nous aiderait à remonter le chemin de l’horreur… »