Nous avons donc pris rendez-vous et je suis allé lui rendre visite. Nous avons parlé
de choses et d’autres, enseignement, littérature, idoles littéraires… Julien Gracq possède, pour reprendre une expression de Marcel Aymé, le « confort intellectuel »
qui lui donne une distance iconoclaste (au passage, je vous conseille de lire ce petit ouvrage de Marcel Aymé).
Distance iconoclaste, qui lui permet d’évaluer les plus grands et de leur trouver des failles. Quand
je l’ai rencontré, il était plongé dans la relecture de la littérature russe et trouvait qu’il n’y avait rien de plus grand…
Nous avons été interrompus dans notre conversation par l’arrivée du médecin et je lui ai laissé à mon
départ un exemplaire de mon ouvrage de l’époque : « la Route… »
Quinze jours plus tard, j’ai reçu un appel : « Julien Gracq à l’appareil… (Forte
émotion)… J’ai lu votre ouvrage. C’est intéressant. Il y a une dimension picaresque dans ce que vous relatez…(Bredouillage)… Voilà. Au plaisir de vous revoir. »
Je suis en train de lire le fameux prix Goncourt qu’il avait refusé :
« le Rivage des Syrtes » : en voici un extrait qui nous met au centre de son univers :
« Dans le silence de ces casemates vides, de ces couloirs ensevelis comme des galeries de mine dans l’épaisseur formidable de la pierre, la forteresse lavée
des regards indifférents reprenait les dimensions du songe. »