Dans l'article précédent, « Au revoir to Éric », le journaliste signalait que, pendant mon séjour écossais, je rédigeais un livre sur les
Etats-Unis. En effet, le véritable déclic de l'écriture s'est opéré pour moi précisément au cours de cette période de recueillement. Loin du tumulte de l'été qui avait été l'initiation à la route
et à de multiples mésaventures sur le sol américain, j'ai éprouvé le besoin de mettre de l’ordre dans mes notes de voyage. De là date ma première véritable confrontation avec un projet d’écriture
lourd…
Entre le 20 juillet et le 30 août 1983, Pascal (Big Pascal !) et moi, fidèles à notre feuille de route (80, la Grande Bretagne, 81 la Sicile,
82 les pays scandinaves, 83 le Nouveau Continent, 84, les ex-Pays de l’Est…) avions effectué le tour des États-Unis en auto-stop, au départ de Montréal. Redoutable pari que, par bravade, nous
nous étions lancé et que nous avions voulu tenir quoi qu’il arrive, et il en est arrivé...
Muni d'un petit carnet de bord, j’avais dans le détail noté les nombreuses anecdotes et péripéties survenues au cours de ce voyage (mauvaises
rencontres, prison, vol, agressions, dangers, émotions, émerveillements), en même temps que croqué quelques portraits des conducteurs qui nous avaient acceptés à bord de leurs voitures... De
retour en France, le temps de déballer les sacs à dos, de préparer le gros sac de parachutiste que j’ai déjà évoqué et me voilà reparti pour le Caithness. Le carnet de bord serré dans un coin…
Et, le soir, dans la maison glacée, équipé d’un épais pull shetland, porridge à l’eau salée en main, poussif feu de tourbe sous mes pieds (je
ferai un article sur la tourbe en Écosse !), je mettais une musique d'ambiance et j'écrivais, étape par étape, ce qui allait devenir 10 ans plus tard le roman : La route, la poussière et
le sable.
De septembre à mai, le temps a filé comme les gros nuages qui passaient dans ma lucarne, poussés par le vent du nord. Souvent distrait dans mon
activité, parfois exsangue sur un épisode, parfois en veine d’inspiration … en juin, je n’avais achevé qu’un pur et simple récit de voyage et, sous cette forme, le livre ne me satisfaisait
pas…
Pour accéder à l'édition, j'ai voulu laisser passer du temps afin de donner une autre dimension au récit : je voulais en faire une sorte de roman
d'apprentissage. C'est ce qui explique pourquoi le livre n'est pas sorti à mon retour d'Écosse. Pour écrire un roman d'apprentissage, je le dis rapidement, il fallait en effet le recul du temps
afin de porter un regard critique sur les personnages qu'on met en scène (Pascal et « je » partent à l’aventure avec 10 ans de moins, ils sont innocents, tendres, naïfs,
vulnérables… !)
Quoi qu'il en soit, le séjour en Écosse m’a permis de poser la trame précieuse de la route et de la réalité au cœur de laquelle s’est inscrit ce
voyage. L’une des idées dans lesquelles j’abordais ce pays, c’était qu’il fournissait une terre d’exil, propice à l’écriture. Un Guernesey à la Hugo (dont la haute figure me hantait encore plus
dans ces contrées). Et tandis que j’accumulais les notes sur la région, que je rédigeais tous les éléments relatifs à mon voyage aux États-Unis, je songeais déjà à produire un travail sur
l'oeuvre du romancier de l’exil, celui de l’Homme qui rit et des Travailleurs de la mer !... Et quand je suis rentré en France, je savais que, par tous les moyens, je retournerais
dans le pays pour consacrer une nouvelle année à l'écriture, mais sous la protection du maître… Ce serait Aberdeen, j’en parle demain…