Arlette tient également beaucoup à la mandoline. Elle me dit que c’est la petite touche italienne… Pour moi, l’instrument
est intimement lié à l’enfance. Mon grand-père italien, une frénésie dans sa façon de jouer et tellement de plaisir à gratter… J’ai consacré la nouvelle phare des
« Nouvelles pour l’été » à ce grand-père là trop vite disparu : (Nouvelles pour l’été : « Aimer la vie »). Dans l’évocation que je fais de lui, la mandoline
tient toute la place :
« ……….Vers la fin de l’après midi, les samedis surtout, tu disparais.
La musique manque dans la pièce. Les petits pas de Cécile glissent sur le lino. Elle allume le poste de télévision.
« Ca y est, le v’là qui a ses cinq minutes ! »
Elle monte le son.
Derrière la porte, tu t’es penché, tu as ramassé sous le lit la belle mandoline en bois qui ressemble à une bouteille de Chianti, tu t’es installé dans un
coin, tu as essuyé, presque redessiné la rondeur de l’instrument, tendu les cordes, commencé à gratter, à chercher les accords.
Les airs reviennent peu à peu, des airs de musette, des airs de valse, des airs d’Italie…
Ils pointent, ils défilent, ils voltigent, se suspendent sur une note, dégringolent.
Celui là surtout, celui que les gens du village avaient baptisé « la Sérénade de Ricchetto »…
Quand tu avais seize ans, tu la jouais au pied de l’église et tu faisais la cour à Rosaria, une petite dévergondée qui se moquait bien de toi…
Rosaria aux yeux brillants, aux jupes affolantes, aux lèvres tendres, à la peau dorée et lisse. Rosaria, la fille de la boulangère, celle-là même chez qui ta
mère allait chercher les brioches du dimanche, pour les distribuer à tous les membres de la famille Bortoluzzi réunis autour de la grande table…
Les heures sonnent au clocher de l’église.
Tu accordes ton instrument.
Les martinets poussent des cris stridents. Le soir tombe, les hannetons, avec leurs dos de mandoline, te frôlent des ailes...
La nuit, quand tout le monde est couché, il n’y a plus que les chats qui miaulent avec toi, tout près de la boulangerie, sous le clocher qui pointe vers le
ciel, ce clocher de Tambre d’Alpago sur lequel ton père a travaillé, jadis.
Ton esprit bat la campagne. Le linge pend à la fenêtre.
Sous le rebord, un couple de pigeons roucoule. Le balcon de chez Mogenot est taché de fiente. Personne ne monte jamais l’escalier. Les hirondelles se
poursuivent en piaillant. La cour en bas fait caisse de résonance. Le père Gautier écoute Radio Tour. Tu enverras ta fille chercher les résultats.
La mandoline est dans le creux de tes bras, toute ronde et luisante. Tu n’entends plus rien autour de toi, les accès de mauvaise humeur, les protestations,
les appels désespérés : « Richard, viens donc manger ! »…………….. »
La mandolina di Ricchetto...Amare la vita...