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« Deux hommes dans la ville » et sur un fil... Delon à La Rochelle

Publié le par Eric Bertrand

« Deux hommes dans la ville » et sur un fil... Delon à La Rochelle

Le Festival La Rochelle Cinéma a braqué cette année ses projecteurs sur Alain Delon et sur ce visage énigmatique qu’a si bien représenté l’affiche de Stanislas Bouvier retenue pour la cinquantième édition. En dehors des 21 films sélectionnés qui ont permis au spectateur de découvrir ou de redécouvrir les mille et une facettes de l’acteur, une exposition de photographies de Paris Match a aussi cherché à montrer sa beauté, son élégance et sa légèreté de félin.

Dans ce cadre particulier, j’ai pris plaisir à revoir sur grand écran le film de Jose Giovanni « Deux hommes dans la ville » réalisé en 1973 où Alain Delon joue le rôle de Gino Strabbligi, ancien malfrat qui accomplit une forme de rédemption avec la bénédiction de son éducateur, un certain Germain Cazeneuve incarné magistralement par Gabin. Cent ans après Victor Hugo, à une époque où George Badinter méditait son célèbre plaidoyer contre la peine de mort, où Sardou s’apprêtait à chanter « Je suis pour », et Julien Clerc « l’Assassin assassiné », le film crée la polémique. Comme Victor Hugo, il dénonce la peine de mort par la voix de Germain Cazeneuve. Comme Victor Hugo, il montre l’horreur de la guillotine par le biais de quelques images choc. Et comme Victor Hugo, d’un point de vue narratif cette fois-ci, il prend le parti de l’éducateur et de la victime contre celui qui incarne aveuglément la Justice : l’inspecteur Goitreau, incarné par Michel Bouquet.

Si Gino est une créature angélique, un ange déchu dont les ailes ont été salies par un séjour en prison pour vol à main armée, aux yeux de Goitreau, l’honnêteté de cette créature botticellienne ne tient qu’à un fil. D’après lui, ce Gino est un ennemi public, un danger, une menace pour la société et il n’a sa place qu’en prison. Avec l’acharnement d’un Javert (que Michel Bouquet interprétera en 1984 dans « les Misérables » de Robert Hossein), Goitreau mène une surveillance rapprochée. Il guette sa proie, la traque et l’observe à la dérobée avec une persistance de maniaque.

Mais Gino s’est engagé dans la voie de l’honnêteté et sous ce nouveau costume, avec ses semelles de vent, il voltige. Il a trouvé un job chez un imprimeur qui ne cesse de louer son mérite et son ardeur au travail et il est amoureux d’une femme qui l’adore. Cette stabilité retrouvée dans « la ville » confère à son visage une beauté effrontée. Il vibre d’une électricité qui l’éclaire, qu’il soit avec son patron à l’intérieur du magasin ou dans une prairie au bord de l’eau en compagnie de sa fiancée, ou à bord d’une voiture de sport. Delon joue l’ivresse, l’émerveillement, le plaisir avec souplesse et bonheur et fait oublier le passé de Strabbligi.

Mais le représentant de la loi attend son heure et ne lâche pas d’une semelle l’ex-détenu. On peut se demander pourquoi un tel acharnement de sa part. Javert avait en lui la conviction de l’existence du Mal et œuvrait pour une conception erronée de la Justice et du Bien. À ses yeux, il n’était pas possible d’accorder un seul crédit à un forçat comme Jean Valjean et il était de son devoir de policier de le démasquer. Pour Goitreau, c’est plus troublant : il semble qu’il soit mû par une obscure force de séduction qui émane de sa victime. À plusieurs reprises, on le voit figé dans la rue ou dans sa voiture, occupé seulement à admirer la silhouette, le visage de cet être jeune, libre et insouciant. Il offre en quelque sorte l’image dilatée d’un spectateur séduit par Delon.

Impuissant, frustré et amoureux peut-être sans oser se l’avouer, il est du côté de la force et de l’Autorité et il s’en sert abusivement. On peut citer d’autres personnages dans son cas : celui de Billy Budd de Melville embauché comme gabier de misaine à bord d’une goélette et dont l’agilité, la jeunesse, la beauté troublent immédiatement son chef. Celui-ci l’accuse à tort de fomenter une mutinerie et le pousse à bout. On peut penser aussi au personnage de Claude Gueux que Victor Hugo décrit comme un détenu exemplaire que son surveillant de prison persécute. Comme Claude, et comme le marin Billy, Gino est un être innocent, libre, léger qui s’amuse, qui voltige et qui gagne sa réhabilitation aux yeux du lecteur-spectateur. Mais le couperet tombe et le fil, sur lequel évolue le gracieux acrobate, se casse.  

 

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