Dosette de lecture n°157 : Giuliano da Empoli : “L’Heure des prédateurs », les valeurs nobles au tapis.
Quelle est la nature profonde de la politique ? Le titre de cet ouvrage ne présume rien de très louable chez les affamés du pouvoir. Consiste-t-elle à s’arranger comme elle peut avec les règles ou trouve-t-elle au contraire son propre équilibre dans le parti-pris de la violence et de l’agitation forcenée ? Pour répondre à cette question d’une brûlante actualité qui examine dans la même nasse les Trump, Javier Milei, Bolsonaro, Brexiters, Nayib Bukele, Mohammed Ben Salman (MBS), l’auteur reconnaît les anciens modèles de la cour des Borgia (« les borgiens ») dont Machiavel avait déjà décrit les turpitudes et les nuisances.
Et le lecteur constate aussitôt que cette débauche de rage et cette outrance d’initiatives personnelles ne sont hélas pas nouvelles. Shakespeare l’avait bien compris dans l’une de ses pièces politiques où il écrit : « La première chose à faire, c’est de tuer tous les avocats ». Forts de ce principe, « les prédateurs » s’arrogent tous les droits et exercent sur leurs sujets l’attraction de la licorne ou de quelque créature aux pouvoirs surnaturels, un peu à la manière de ces conquistadores au poil luisant qui ont débarqué sur les côtes d’Amérique au XVI° siècle. À propos de tels animaux politiques, Tolstoï parle de « béliers engraissés pour l’abattoir ».
Sans être tous dotés d’un profil de rhinocéros sanguin, la plupart d’entre eux sont des « poissons abyssaux », habitués à sentir peser sur leurs épaules « la pression de milliers de tonnes d’eau de mer ». À leurs yeux, tous les moyens sont bons et les valeurs démocratiques ne pèsent plus grand-chose… surtout qu’elles roulent à présent sur le tapis de jeu de la sphère numérique ; soumises à d’autres forces d’attraction, elles ont même tendance à perdre complètement la boule. À moins qu’elles ne demandent leur chemin à Waze… Et, comme on sait, « contrairement à Dieu, Waze n’a qu’une seule mission, faire gagner du temps à ses utilisateurs. »