Intelligence artificielle : halte au monstre ! Frankenstein le romantique...
Lorsque le 1er janvier 1818, Mary Shelley écrit son « Frankenstein », elle crée l’un des premiers monstres artificiels de la littérature, sorte de créature infernale, produite de tissus récupérés sur des cadavres et galvanisés par l’art d’un « savant fou », mi-romantique, mi-scientifique, le docteur Victor Frankenstein. Avec « Frankenstein », nait cette œuvre essentielle qu’elle désigne aussi par le sous-titre de « Prométhée moderne », mythe qui a le mérite de mettre définitivement l’homme face à ses fantasmes d’apprenti sorcier.
Le coup de génie de ce roman, c’est de laisser à ce monstre une part d’humanité et de sensibilité. La créature ignoble refuse de rester un simple automate, un robot monstrueux capable de se comporter comme un spécimen d’humain augmenté ou, du moins, cabossé. La laideur et la violence qu’il a du mal à contrôler ne l’empêchent pas de ressentir des aspirations nobles. Par le biais de cette énergie nouvelle et de ce ressort autonome, il échappe ainsi à son créateur et part à la conquête de lui-même.
Lorsque j’ai écrit « Lire ou pâlir à sa vue » (éditions Hello), parmi d’autres grandes références de romans, j’ai beaucoup pensé à celui-ci. Puisque dans ce livre il est question d’intelligence artificielle et que le héros narrateur est un « livre intelligent » sorti du ventre des big data et d’autres influx qui l’ont nourri et arrangé de mille coutures, n’est-il pas lui aussi, à première vue et sous des dehors trompeurs, un monstre dangereux pour l’humanité ? À moins qu’il ne saisisse lui aussi sa part de liberté en découvrant par lui-même ce que ses concepteurs (et notamment le fameux Ronald Trusk) n’ont pas pensé à lui faire ingurgiter ? En même temps qu’une réflexion sur la lecture, cette imprévisibilité des machines, si élaborées soient-elles, est au centre de ce dernier roman.