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spectacle de theatre

L’article du mois : « Les Acteurs de bonne foi » à la Coursive

Publié le par Eric Bertrand

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Comment divertir une vieille dame qui va bientôt marier son neveu (Ergaste) et qui est d’humeur badine ? Mme Amelin a en effet souhaité qu’on lui « donne la comédie ». Elle confie la mission à un certain Merlin qui propose « un impromptu ». Le projet de sa pièce est simple... Il suffit pour les acteurs qu’il « embauche » de jouer « d’après nature » : Lisette est promise au simplet Blaise mais elle aime être courtisée. Merlin, aimée de Colette, aime aussi séduire...

               A partir de cette situation, l’auteur comédien a imaginé son « canevas ». Tout irait bien si les personnnages acceptaient de jouer la fiction suivante : Blaise et Colette sont jaloux car ils surprennent Lisette et Merlin en train de « marivauder ». Mais Blaise et Colette ne comprennent pas ce que c’est que feindre et les jeux de l’amour chez Marivaux sont vite troubles et ... hasardeux. Où est le théâtre ? Où est la vérité ? 

                Comme dit l’un des personnages, les comédiens « font semblant de faire semblant ». L’impromptu semble dés lors voué à l’échec, d’autant que la mère d’Angélique, Mme Argante, ne souhaite pas qu’il y ait du théâtre dans sa maison, même si elle  doit marier sa fille. La vieille dame ne supporte en effet pas ce type de divertissement et tient tête à la collectivité en brandissant une série d’arguments qui rappellent les polémiques (d’actualité à cette époque) entre Rousseau et les partisans du théâtre.

                 Mme Argante parle comme Rousseau et décrête qu’il n’y aura pas de comédie chez elle ! Mme Amelin se révèle alors habile metteur en scène : puisque Mme Argante ne veut pas la comédie, alors c’est elle qui va « donner la comédie »... La veuve Araminte qui est invitée est secrêtement amoureuse d’Eraste, et possède une dote importante. Angélique, elle, ne possède rien et l’annulation du mariage signifierait la ruine de la maison... Il n’en faut pas plus pour monter le stratagème et affoler la vieille prude qui se met à ramper, à batifoler, à jouer « la marionnette » et « l’opéra » puisqu’il le faut !

Demain, on parle de sa mise en scène...

 

                 La pièce, dirigée par Jean-Pierre Vincent, est enlevée, menée sur un rythme léger et fantaisiste. Les comédiens sont à leur avantage dans un décor qui évoque la pastorale. Un fond de montagne, dans l’azur, une main souveraine comme celle d’un dieu dans un tableau de Michel-Ange, des cloches d’église qui tintent au début du spectacle, les bruits de la ferme, une botte de fumier côté jardin, côté cour des bottes de paille et un garçon qui sommeille... Le coq chante, il s’éveille, mord dans une grosse tranche de pain. Sa grande chemise pend au bas de son habit, il s’étire, regarde la campagne autour de lui. Alors passe une aimable fermière qui lui fait signe...

                  On dirait Jean-Jacques au cours de l’un de ses voyages en direction de chez Mme de Warens. Les acteurs prennent leur temps. Le jeune homme s’amuse à faire tourner la manivelle d’une petite boite à musique. La fermière s’en va en cambrant les reins, le désir est allumé ! Moment silencieux d’aparté... Avant le mouvement et le jaillissement de l’amour chez Marivaux, tout commence dans le regard, le cœur, et le désir fulgurant... La comédie peut débuter, envers et contre tous ! 

 

                  Au lendemain d’un spectacle de théâtre, j’aime bien retrouver dans le texte certains moments bien joués sur la scène... J’ai donc ouvert mon Marivaux et cherché un passage savoureux dans lequel Mme Argante s’emportait contre la manie de la comédie. Comme j’avais monté la pièce au lycée à l’époque qui précédait celle de l’atelier, je me souvenais assez bien de l’ensemble mais pas de ce passage pourtant haut en couleurs. Et pour cause... Le metteur en scène l’a rajouté. J’en ai eu confirmation par la Coursive qui a eu la gentillesse de m’envoyer ces éléments d’explication :

                     Effectivement ces textes sont tirés des échanges entre Rousseau et d'Alembert 
« Lettre à d’Alembert sur les spectacles » et « Lettre à Rousseau » On trouve la première trace des Acteurs de bonne foi dans le salon de Mlle Quinault, une « ex » de la Comédie Française, dite Quinault Cadette, en 1748. Sous quelle forme ? On ne sait : lecture par Marivaux, ou jeu de salon ? Marivaux fit publier son texte dans une revue amie en 1757, en plein cœur de la querelle à propos du théâtre, entre Rousseau et d’Alembert. Dans son article « Genève » de l’Encyclopédie, d’Alembert proposait aux austères protestants genevois d’introduire dans leur cité un peu de fantaisie en y fondant un théâtre. Il y faisait tout son possible pour donner ses lettres de noblesse (ou plutôt de morale) à ce divertissement. Rousseau, déjà échauffé contre Diderot et ses amis, retrouva son patriotisme genevois pour réfuter avec ampleur et ferveur les arguments du parisien, dans sa longue « Lettre à d’Alembert sur les spectacles », lettre à laquelle d’Alembert répondra à son tour dans une « Lettre à Rousseau ». Au milieu de ce grand bruit, Marivaux publie discrètement ses Acteurs de bonne foi, ce qui sera d’ailleurs sa dernière pièce : une façon d’ajouter un grain de sel tout à fait personnel à la grande querelle ?

 

L’on croit s’assembler au théâtre, et c’est là que chacun s’isole; c’est là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables ou rire aux dépends des vivants.

Jean-Jacques Rousseau

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« Les Acteurs de bonne foi » et la « lettre à d’Alembert » (3/3)

Publié le par Eric Bertrand

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                   Au lendemain d’un spectacle de théâtre, j’aime bien retrouver dans le texte certains moments bien joués sur la scène... J’ai donc ouvert mon Marivaux et cherché un passage savoureux dans lequel Mme Argante s’emportait contre la manie de la comédie. Comme j’avais monté la pièce au lycée à l’époque qui précédait celle de l’atelier, je me souvenais assez bien de l’ensemble mais pas de ce passage pourtant haut en couleurs. Et pour cause... Le metteur en scène l’a rajouté. J’en ai eu confirmation par la Coursive qui a eu la gentillesse de m’envoyer ces éléments d’explication :

                    Effectivement ces textes sont tirés des échanges entre Rousseau et d'Alembert

« Lettre à d’Alembert sur les spectacles » et « Lettre à Rousseau » On trouve la première trace des Acteurs de bonne foi dans le salon de Mlle Quinault, une « ex » de la Comédie Française, dite Quinault Cadette, en 1748. Sous quelle forme ? On ne sait : lecture par Marivaux, ou jeu de salon ? Marivaux fit publier son texte dans une revue amie en 1757, en plein cœur de la querelle à propos du théâtre, entre Rousseau et d’Alembert. Dans son article « Genève » de l’Encyclopédie, d’Alembert proposait aux austères protestants genevois d’introduire dans leur cité un peu de fantaisie en y fondant un théâtre. Il y faisait tout son possible pour donner ses lettres de noblesse (ou plutôt de morale) à ce divertissement. Rousseau, déjà échauffé contre Diderot et ses amis, retrouva son patriotisme genevois pour réfuter avec ampleur et ferveur les arguments du parisien, dans sa longue « Lettre à d’Alembert sur les spectacles », lettre à laquelle d’Alembert répondra à son tour dans une « Lettre à Rousseau ». Au milieu de ce grand bruit, Marivaux publie discrètement ses Acteurs de bonne foi, ce qui sera d’ailleurs sa dernière pièce : une façon d’ajouter un grain de sel tout à fait personnel à la grande querelle ?

 L’on croit s’assembler au théâtre, et c’est là que chacun s’isole; c’est là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables ou rire aux dépends des vivants.

Jean-Jacques Rousseau

 

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« Les Acteurs de bonne foi » à la Coursive : la mise en scène (2/3)

Publié le par Eric Bertrand

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                 La pièce, dirigée par Jean-Pierre Vincent, est enlevée, menée sur un rythme léger et fantaisiste. Les comédiens sont à leur avantage dans un décor qui évoque la pastorale. Un fond de montagne, dans l’azur, une main souveraine comme celle d’un dieu dans un tableau de Michel-Ange, des cloches d’église qui tintent au début du spectacle, les bruits de la ferme, une botte de fumier côté jardin, côté cour des bottes de paille et un garçon qui sommeille... Le coq chante, il s’éveille, mord dans une grosse tranche de pain. Sa grande chemise pend au bas de son habit, il s’étire, regarde la campagne autour de lui. Alors passe une aimable fermière qui lui fait signe...

                  On dirait Jean-Jacques au cours de l’un de ses voyages en direction de chez Mme de Warens. Les acteurs prennent leur temps. Le jeune homme s’amuse à faire tourner la manivelle d’une petite boite à musique. La fermière s’en va en cambrant les reins, le désir est allumé ! Moment silencieux d’aparté... Avant le mouvement et le jaillissement de l’amour chez Marivaux, tout commence dans le regard, le cœur, et le désir fulgurant... La comédie peut débuter, envers et contre tous ! 

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« Les Acteurs de bonne foi » à la Coursive : l’intrigue (1/3)

Publié le par Eric Bertrand

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              Comment divertir une vieille dame qui va bientôt marier son neveu (Ergaste) et qui est d’humeur badine ? Mme Amelin a en effet souhaité qu’on lui « donne la comédie ». Elle confie la mission à un certain Merlin qui propose « un impromptu ». Le projet de sa pièce est simple... Il suffit pour les acteurs qu’il « embauche » de jouer « d’après nature » : Lisette est promise au simplet Blaise mais elle aime être courtisée. Merlin, aimée de Colette, aime aussi séduire...

               A partir de cette situation, l’auteur comédien a imaginé son « canevas ». Tout irait bien si les personnnages acceptaient de jouer la fiction suivante : Blaise et Colette sont jaloux car ils surprennent Lisette et Merlin en train de « marivauder ». Mais Blaise et Colette ne comprennent pas ce que c’est que feindre et les jeux de l’amour chez Marivaux sont vite troubles et ... hasardeux. Où est le théâtre ? Où est la vérité ?  

                Comme dit l’un des personnages, les comédiens « font semblant de faire semblant ». L’impromptu semble dés lors voué à l’échec, d’autant que la mère d’Angélique, Mme Argante, ne souhaite pas qu’il y ait du théâtre dans sa maison, même si elle  doit marier sa fille. La vieille dame ne supporte en effet pas ce type de divertissement et tient tête à la collectivité en brandissant une série d’arguments qui rappellent les polémiques (d’actualité à cette époque) entre Rousseau et les partisans du théâtre.

                 Mme Argante parle comme Rousseau et décrête qu’il n’y aura pas de comédie chez elle ! Mme Amelin se révèle alors habile metteur en scène : puisque Mme Argante ne veut pas la comédie, alors c’est elle qui va « donner la comédie »... La veuve Araminte qui est invitée est secrêtement amoureuse d’Eraste, et possède une dote importante. Angélique, elle, ne possède rien et l’annulation du mariage signifierait la ruine de la maison... Il n’en faut pas plus pour monter le stratagème et affoler la vieille prude qui se met à ramper, à batifoler, à jouer « la marionnette » et « l’opéra » puisqu’il le faut !

Demain, on parle de sa mise en scène...

 

 

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« Antigone », passage de témoin

Publié le par Eric Bertrand

 

 

 

J’ai toujours aimé le théâtre, notamment parce qu’il permet de dire, d’articuler, d’échanger des beaux textes dans le cadre clos de l’espace scénique qui est aussi l’enceinte du public. Parler sur la scène, c’est comme parler au creux de l’oreille du spectateur.

             L’un des premiers grands textes que j’ai eu l’occasion de savourer en qualité d’acteur et de membre de troupe, ce fut la pièce d’Anouilh, « Antigone »... Lorsque je débutais mon enseignement à l’université d’Aberdeen, un professeur écossais avait eu l’idée de la monter et j’avais hérité du rôle de Hémon...

             J’entendrai toute ma vie ces scènes jouées par les étudiants avec cette pointe gracieuse d’accent qui donnait une force particulière au discours. Surtout le début, lorsque tout commence, et qu’Antigone revient de « la campagne ». Elle a  quitté sa chambre de princesse, elle a transgressé la loi fixée par son oncle Créon, et surtout, elle a vu, peut être pour la première fois, le soleil se lever.

« Tout est déjà rose, jaune, vert. C’est devenu une carte postale... »

             Et jeudi soir, c’était ma fille Nolwenn, qui disait ce texte avec beaucoup d’émotion et de maîtrise devant un public recuilli.

                     « J’ai cru au jour la première (...) C’est beau un jardin qui ne pense pas encore aux hommes »

              L’une de mes distractions favorites à Aberdeen (où je disposais de beaucoup de temps libre), c’était justement de « croire au jour » et de partir avant l’aube en direction de la mer, équipé de mon appareil photos. Puisse-t-elle, elle aussi, avoir hérité de cette valeur.

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