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cinema

“l’Homme qui rit” : le film de Jean-Pierre Améris...Gwynplaine and the wonderland

Publié le par Eric Bertrand

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Le générique s’achève et la caméra plonge l’œil du spectateur vers le bas de la falaise. Tempête. Des hommes pressés embarquent. Abandonnent sur le rivage l’enfant désarmé dont les empreintes se marquent sur le champ de neige qu’il traverse... En écho à ces premières images, à la fin du film, on retrouve les empreintes de Gwynplaine dans la boue. Le chemin mène au fleuve. Comme au début, il rejoint Déa non plus dans la neige mais dans la mort, après la tempête de la vie...

Les images de Jean-Pierre Améris sont soignées, appliquées, esthétiques. Elles visent à restituer par la voie cinématographique quelques-uns des plus forts épisodes de « l’Homme qui rit », roman tourmenté, baroque, dont les 750 pages tremblent d’un romantisme aussi échevelé que le vieux druide de Guernesey.

Gwynplaine, à ce moment enfant spirituel de Jean Valjean et de Monseigneur Myriel, s’arrête au pied d’un crucifix. Images à la Vélasquez pour suggérer la souffrance humaine.  Images à la Rembrandt pour descendre au fond de l’intimité de la cahute « green-box », cellule saltimbanque, pour cerner, comprendre, approfondir le visage débonnaire (quelque peu empâté par rapport au modèle initial) du philosophe Ursus (Gérard Depardieu).

Dans un décor hallucinant où se pressent les monstres et les grotesques, sous le kaléiodoscope que fait tournoyer la caméra de Jean-Pierre Améris, le lecteur retrouve à la fois les images du roman et celles des grands films qui ont marqué un certain cinéma influencé par « l’Homme qui rit ». Films de Burton, de Carpenter, silhouettes des malheureux monstres de « Freaks », du Joker, d’« Edward aux mains d’argent », dessins à l’encre réalisés à ses heures perdues ( !) par l’exilé de Guernesey, pendu, château gothique du bord du Rhin, fragments de discours métaphorique, antithétique... tout Hugo au fond d’un encrier : « Gwynplaine, le monstre que tu es au dehors, je le suis au-dedans », « le paradis des riches est fait de l’enfer des pauvres ».

Car au fond, qu’y a-t-il de l’autre côté de ce masque trop net, collé sur le beau visage de Gwynplaine ? Qui se cache derrière la ridicule poupée poudrée que, du jour au lendemain, on a habillée en lord au Pays des Merveilles ? Une figure fracassée par une double identité... Un spectre fantasque tourmenté par son origine... Une « force qui va », qui hante  et qui travaille le souvenir et l’imagination inquiète d’un réalisateur ébloui.

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Rencontre au lycée avec Jean-Pierre Améris et Jean-Marc Grondin : le masque de « l’Homme qui rit » et le miroir sans teint

Publié le par Eric Bertrand

 

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Mardi 10 décembre, aux environs de 15h00, une soixantaine d’élèves ont rencontré comme prévu une partie de l’équipe du film de Jean-Pierre Améris présenté en avant-première le soir même au CGR Dragon de la Rochelle. Voici un petit bilan de la rencontre puis une approche du film.

 

Marqué par « l’Homme qui rit » qu’il a vu à dix ans dans une version télé, Jean-Pierre Améris, est habité par l’univers fantasmagorique de Hugo. A 15 ans, il a lu le roman et depuis, Gwynplaine ne l’a plus quitté... Avec une générosité de détails, le réalisateur s’adresse avec aisance à ses spectateurs. Il confie que l’idée de tourner « l’Homme qui rit » l’a habité pendant des années avant de pouvoir réaliser son projet. L’essentiel était de « tenir le cap » et de « tailler un scénario » dans « le granit » de cette œuvre magistrale, épaisse d’environ 750 pages...

Résultat : un film d’une heure trente, « léger, fluide » comme en témoigne Marc-André Grondin qui incarne Gwynplaine et qui est venu lui aussi parler aux lycéens. Pas facile de « porter le masque » de « l’Homme qui rit », de s’habituer à l’expression douloureuse et mécanique du rictus, à la torsion des prothèses enfoncées dans la bouche, d’éprouver l’embarras de ce visage qu’il faut « installer » pendant trois heures en loge et assumer toute une journée !

Car, comme le rappelle Jean-Pierre Améris, outre sa dimension politique et onirique, « l’Homme qui rit » est avant tout une œuvre visuelle et spectaculaire... Elle donne à voir le visage mutilé de Gwynplaine. Et si, malgré sa mutilation, Gwynplaine était beau ? D’une beauté plastique d’aristocrate défiguré, jeté en pâture aux chiens de la mer ? D’une beauté fendue par cette sorte de demi-masque ambigu de la commedia ou de la tragédie antique. Aux yeux du réalisateur, son Gwynplaine tient davantage du Joker que d’Elephant Man... Ce qui ne l’empêche pas de rester avant tout un héros profondément hugolien, marqué par la surface plane et énigmatique comme un miroir sans teint auquel le visage de Gwynplaine nous renvoie tous.

 

 

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« L’Homme qui rit » : rencontre d’une partie de l’équipe de tournage (1/9)

Publié le par Eric Bertrand

 

 

           Deux de mes classes vont pouvoir rencontrer au lycée lundi prochain le réalisateur de « l’Homme qui rit », Jean-Pierre Améris et l’une des actrices, Christa Théret (qui joue Déa et que les élèves ont déjà vue dans « Lol »). Cette rencontre m’a été proposée très tardivement, et l’organisation (d’un point de vue logistique) n’a pas été facile... Mais j’y tenais tout particulièrement car j’ai un « petit faible » pour cette œuvre de Victor Hugo et les lecteurs de ce blog savent très bien pourquoi...

          La rencontre va donc durer une heure et il me reste à préparer les élèves afin qu’elle soit le plus riche possible. A l’issue de ce moment d’échange et quelques heures plus tard, nous aurons l’occasion d’assister en avant-première à la projection du film dans l’une des salles de la ville.

          A l’occasion de cette activité, je propose à partir de demain une série d’articles consacrés à cette œuvre majeure du vieil Hugo à laquelle j’ai consacré un ouvrage paru chez Ellipses.

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Article du mois : « Dans la maison » de François Ozon : écrivain et lecteur en huis clos

Publié le par Eric Bertrand

 

 

Germain est un prof de lettres désabusé qui fait sa rentrée sans conviction et encaisse, les yeux décavés, les discours de pédagogie dans le vent distribués comme des coups de poing par la communauté éducative. « L’élève – l’apprenant - au centre du système », « le port du costume par souci d’égalité au cœur de l’établissement », « la disparition progressive de la note pour ménager les apprenants »...

Le visage quasi nauséeux, Lucchini incarne ce personnage qui n’attend plus grand-chose non plus de ses élèves. Il vient de lire Schopenhauer pendant les vacances d’été, ce qui n’arrange rien. A la fin du film, il est assommé par un coup de « Voyage au bout de la nuit » dont l’exemplaire relié fournit une arme idéale à son agresseur. Quand on connaît un peu les goûts littéraires du lecteur Lucchini, ces détails sont savoureux...

Inévitablement au sortir de la salle de classe, après avoir lu du La Fontaine dans une solitude accablante, Germain rentre chez lui et lit des copies. Sujet : « racontez un moment fort de vos vacances ». Le prof a fait un effort pour se mettre à la portée des « apprenants »... Nouvelle déconfiture ! La feuille blanche chère à Flaubert (est-ce un signe, le lycée s’appelle « lycée Flaubert » ?) voit défiler des histoires dégoulinantes de pizzas, de téléphones portables ou de match de foot arrosés à la bière.

« Un livre sur rien ? » Des copies sur rien en tout cas ! Et mal écrites ! Ce lecteur désabusé et anxieux, fait une nouvelle fois à son échelle, l’épreuve du tragique et du naufrage romantique. Et puis soudain, par la grâce de quelques mots, une copie émerge du lot. Germain la lit à voix haute à sa femme. Il raconte simplement le cours de maths qu’il est allé donner à son ami Raphaël pour l’aider à mieux réussir son devoir. En quelques traits subtils, l’auteur a esquissé le dessin d’un quartier, d’une maison, d’une femme. Le style tient captif, et le cadre choisi, un peu comme dans les pièces de Racine, induit aussitôt intimement le tragique.

« Dans la maison », c’est le titre du film et c’est également l’espace étouffant des quelques pièces dans lesquelles se déroule l’action de la rédaction. La famille « Rafa », le père, le fils, la mère ... La chambre de Raphaël, le salon, la salle de bain, l’escalier, la chambre des parents dans laquelle se renifle « l’odeur de la femme de la classe moyenne », la capiteuse Esther. L’élève termine le devoir par un énigmatique « à suivre » qui annonce en effet, par un bel effet de mise en abyme, la suite à la fois du film et de la rédaction. 

L’écrivain en herbe a du talent. Il sait créer des ambiances, croquer des personnages, ménager du suspense. Le professeur, disciple de Flaubert, trouve raisonnable de lui indiquer des astuces afin de rendre progressivement son récit plus palpitant. Comme il l’affirme lui-même, tout lecteur attiré par un livre doit se sentir « sultan devant Shéhérazade ».  Si, dans « les Contes des mille et une nuits », Shéhérazade n’est pas exécutée comme les autres odalisques, c’est parce qu’elle sait tenir en haleine son auditeur par l’habileté de ses contes. De la même façon, Germain (et le spectateur) attend avec une impatience coupable la suite de l’histoire. Il subit l’effet de fascination que lui procure cette entrée par effraction narrative dans le jardin secret des Rafa. Il ne veut pas les connaître, il préfère les imaginer à travers la magie du récit. Sans doute est-il, comme l’élève à la petite gueule de fin limier, captivé par « l’odeur » sensuelle d’Esther, mère au foyer, un peu délaissée par ses deux hommes.

On l’a compris, l’une des forces du film de François Ozon, réside tout particulièrement dans cette ambiguïté de la relation qui unit l’écrivain et son lecteur. Elle est doublée d’une réflexion sur la mise en scène des situations narratives dans la mesure où, dans cet échange particulier entre le maître et l’élève, il y a, de la part du maître, une volonté de faire jouer les meilleures ficelles du récit : celles qui posent « l’objet à atteindre » et la série de conflits que doit inévitablement engendrer la quête de l’objet. Quand Michel Tournier parle du rapport du lecteur au livre, il utilise la curieuse métaphore du « vampire sec ». Le machiavélique élève, qui ne peut pas écrire sans agir au domicile des Rafa, est le vampire sec de Germain. Il se nourrit des fantasmes, des désirs, des représentations de son lecteur avide qui lui livre son sang. Dans cet étrange échange d’énergies, le lecteur est le meilleur complice du monstre buveur de sang... Toute bonne littérature n’est jamais innocente. 

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« Dans la maison » de François Ozon : écrivain et lecteur en huis clos (intégral).

Publié le par Eric Bertrand

 

 

Germain est un prof de lettres désabusé qui fait sa rentrée sans conviction et encaisse, les yeux décavés, les discours de pédagogie dans le vent distribués comme des coups de poing par la communauté éducative. « L’élève – l’apprenant - au centre du système », « le port du costume par souci d’égalité au cœur de l’établissement », « la disparition progressive de la note pour ménager les apprenants »...

Le visage quasi nauséeux, Lucchini incarne ce personnage qui n’attend plus grand-chose non plus de ses élèves. Il vient de lire Schopenhauer pendant les vacances d’été, ce qui n’arrange rien. A la fin du film, il est assommé par un coup de « Voyage au bout de la nuit » dont l’exemplaire relié fournit une arme idéale à son agresseur. Quand on connaît un peu les goûts littéraires du lecteur Lucchini, ces détails sont savoureux...

Inévitablement au sortir de la salle de classe, après avoir lu du La Fontaine dans une solitude accablante, Germain rentre chez lui et lit des copies. Sujet : « racontez un moment fort de vos vacances ». Le prof a fait un effort pour se mettre à la portée des « apprenants »... Nouvelle déconfiture ! La feuille blanche chère à Flaubert (est-ce un signe, le lycée s’appelle « lycée Flaubert » ?) voit défiler des histoires dégoulinantes de pizzas, de téléphones portables ou de match de foot arrosés à la bière.

« Un livre sur rien ? » Des copies sur rien en tout cas ! Et mal écrites ! Ce lecteur désabusé et anxieux, fait une nouvelle fois à son échelle, l’épreuve du tragique et du naufrage romantique. Et puis soudain, par la grâce de quelques mots, une copie émerge du lot. Germain la lit à voix haute à sa femme. Il raconte simplement le cours de maths qu’il est allé donner à son ami Raphaël pour l’aider à mieux réussir son devoir. En quelques traits subtils, l’auteur a esquissé le dessin d’un quartier, d’une maison, d’une femme. Le style tient captif, et le cadre choisi, un peu comme dans les pièces de Racine, induit aussitôt intimement le tragique.

« Dans la maison », c’est le titre du film et c’est également l’espace étouffant des quelques pièces dans lesquelles se déroule l’action de la rédaction. La famille « Rafa », le père, le fils, la mère ... La chambre de Raphaël, le salon, la salle de bain, l’escalier, la chambre des parents dans laquelle se renifle « l’odeur de la femme de la classe moyenne », la capiteuse Esther. L’élève termine le devoir par un énigmatique « à suivre » qui annonce en effet, par un bel effet de mise en abyme, la suite à la fois du film et de la rédaction. 

L’écrivain en herbe a du talent. Il sait créer des ambiances, croquer des personnages, ménager du suspense. Le professeur, disciple de Flaubert, trouve raisonnable de lui indiquer des astuces afin de rendre progressivement son récit plus palpitant. Comme il l’affirme lui-même, tout lecteur attiré par un livre doit se sentir « sultan devant Shéhérazade ».  Si, dans « les Contes des mille et une nuits », Shéhérazade n’est pas exécutée comme les autres odalisques, c’est parce qu’elle sait tenir en haleine son auditeur par l’habileté de ses contes. De la même façon, Germain (et le spectateur) attend avec une impatience coupable la suite de l’histoire. Il subit l’effet de fascination que lui procure cette entrée par effraction narrative dans le jardin secret des Rafa. Il ne veut pas les connaître, il préfère les imaginer à travers la magie du récit. Sans doute est-il, comme l’élève à la petite gueule de fin limier, captivé par « l’odeur » sensuelle d’Esther, mère au foyer, un peu délaissée par ses deux hommes.

On l’a compris, l’une des forces du film de François Ozon, réside tout particulièrement dans cette ambiguïté de la relation qui unit l’écrivain et son lecteur. Elle est doublée d’une réflexion sur la mise en scène des situations narratives dans la mesure où, dans cet échange particulier entre le maître et l’élève, il y a, de la part du maître, une volonté de faire jouer les meilleures ficelles du récit : celles qui posent « l’objet à atteindre » et la série de conflits que doit inévitablement engendrer la quête de l’objet. Quand Michel Tournier parle du rapport du lecteur au livre, il utilise la curieuse métaphore du « vampire sec ». Le machiavélique élève, qui ne peut pas écrire sans agir au domicile des Rafa, est le vampire sec de Germain. Il se nourrit des fantasmes, des désirs, des représentations de son lecteur avide qui lui livre son sang. Dans cet étrange échange d’énergies, le lecteur est le meilleur complice du monstre buveur de sang... Toute bonne littérature n’est jamais innocente. 

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