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livres

« La Peste » de Camus aux portes d’Oran et de La Rochelle (5/10)

Publié le par Eric Bertrand

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Pour terminer cette série, je livre au lecteur trois extraits qui m’ont paru particulièrement forts et riches à exploiter dans « la Peste ».

 

Extrait 1 : le discours de Paneloux

 

Paneloux tendit ici ses deux bras courts dans la direction du parvis, comme s'il montrait quelque chose derrière le rideau mouvant de la pluie : « Mes frères, dit-il avec force, c'est la même chasse mortelle qui court aujourd'hui dans nos rues. Voyez-le, cet ange de la peste, beau comme Lucifer et brillant comme le mal lui-même, dressé au-dessus de vos toits, la main droite portant l'épieu rouge à hauteur de sa tête, la main gauche désignant l'une de vos maisons. À l'instant, peut-être, son doigt se tend vers votre porte, l'épieu résonne sur le bois ; à l'instant encore, la peste entre chez vous, s'assied dans votre chambre et attend votre retour. Elle est là, patiente et attentive, assurée comme l'ordre même du monde. Cette main qu'elle vous tendra, nulle puissance terrestre et pas même, sachez-le bien, la vaine science humaine, ne peut faire que vous l'évitiez. Et battus sur l'aire sanglante de la douleur, vous serez rejetés avec la paille. » Ici, le Père reprit avec plus d'ampleur encore l'image pathétique du fléau. Il évoqua l'immense pièce de bois tournoyant au-dessus de la ville, frappant au hasard et se relevant ensanglantée, éparpillant enfin le sang et la douleur humaine « pour des semailles qui prépareraient les moissons de la vérité ».

Au bout de sa longue période, le Père Paneloux s'arrêta, les cheveux sur le front, le corps agité d'un tremblement que ses mains communiquaient à la chaire et reprit, plus sourdement, mais sur un ton accusateur : « Oui, l'heure est venue de réfléchir. Vous avez cru qu'il vous suffirait de visiter Dieu le dimanche pour être libres de vos journées. Vous avez pensé que quelques génuflexions le paieraient bien assez de votre insouciance criminelle. Mais Dieu n'est pas tiède. Ces rapports espacés ne suffisaient pas à sa dévorante tendresse. Il voulait vous voir plus longtemps, c'est sa manière de vous aimer et, à vrai dire, c'est la seule manière d'aimer. Voilà pourquoi, fatigué d'attendre votre venue, il a laissé le fléau vous visiter comme il a visité toutes les villes du péché depuis que les hommes ont une histoire. Vous savez maintenant ce qu'est le péché, comme l'ont su Caïn et ses fils, ceux d'avant le déluge, ceux de Sodome et de Gomorrhe, Pharaon et Job et aussi tous les maudits. Et comme tous ceux-là l'ont fait, c'est un regard neuf que vous portez sur les êtres et sur les choses depuis le jour où cette ville a refermé ses murs autour de vous et du fléau. Vous savez maintenant et enfin qu'il faut venir à l'essentiel. »

Un vent humide s'engouffrait à présent sous la nef et les flammes des cierges se courbèrent en grésillant. Une odeur épaisse de cire, des toux, un éternuement montèrent vers le Père Paneloux qui, revenant sur son exposé avec une subtilité qui fut très appréciée, reprit d'une voix calme : « Beaucoup d'entre vous, je le sais, se demandent justement où je veux en venir. Je veux vous faire venir à la vérité et vous apprendre à vous réjouir, malgré tout ce que j'ai dit. Le temps n'est plus où des conseils, une main fraternelle étaient les moyens de vous pousser vers le bien. Aujourd'hui, la vérité est un ordre. Et le chemin du salut, c'est un épieu rouge qui vous le montre et vous y pousse. C'est ici, mes frères, que se manifeste enfin la miséricorde divine qui a mis en toute chose le bien et le mal, la colère et la pitié, la peste et le salut. Ce fléau même qui vous meurtrit, il vous élève et vous montre la voie.

« Il y a bien longtemps, les chrétiens d'Abyssinie voyaient dans la peste un moyen efficace, d'origine divine, de gagner l'éternité. Ceux qui n'étaient pas atteints s'enroulaient dans les draps des pestiférés afin de mourir certainement. Sans doute, cette fureur de salut n'est-elle pas recommandable. Elle marque une précipitation regrettable, bien proche de l'orgueil. Il ne faut pas être plus pressé que Dieu et tout ce qui prétend accélérer l'ordre immuable, qu'il a établi une fois pour toutes, conduit à l'hérésie. Mais, du moins, cet exemple comporte sa leçon. À nos esprits plus clairvoyants, il fait valoir seulement cette lueur exquise d'éternité qui gît au fond de toute souffrance. Elle éclaire, cette lueur, les chemins crépusculaires qui mènent vers la délivrance. Elle manifeste la volonté divine qui, sans défaillance, transforme le mal en bien. Aujourd'hui encore, à travers ce cheminement de mort, d'angoisses et de clameurs, elle nous guide vers le silence essentiel et vers le principe de toute vie. Voilà, mes frères, l'immense consolation que je voulais vous apporter pour que ce ne soient pas seulement des paroles qui châtient que vous emportiez d'ici, mais aussi un verbe qui apaise. »

La Peste (première partie)

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« La Peste » de Camus aux portes d’Oran et de La Rochelle (4/10)

Publié le par Eric Bertrand

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        Alors qu’en est-il de la réflexion sur le nazisme ? La Peste, roman allégorique sur le nazisme et sur l’Occupation ? Oran, mise en quarantaine, est le théâtre unique de cette tragédie. Ceux qui ont fait le choix de la lucidité et de la résistance, montrent la présence horrible de la peste, à travers l’abjection de la maladie et la mort (certains passages qu’on a cités comme ceux relatifs au nombre de cadavres et aux mesures radicales prises pour faire disparaitre les corps évoquent explicitement le souvenir des camps de concentration), ou aussi à travers l’abjection morale de collaborateurs qui se frottent les mains de la présence de l’Ennemi ! (Cottard ne supportera pas l’arrêt de l’épidémie et se mettra à tirer sur la foule).

             Mais il ne faudrait pas réduire la force du roman à cette évocation à peine voilée du nazisme. Toute sa dimension tragique tient aussi à ces multiples moments de réflexion au sujet de la condition humaine... Chemin faisant, à bord de ce vaisseau empesté, de cette ville de lamentation, Camus ne cesse de s’interroger sur l’homme, sa grandeur et ses limites. Il interroge les rêves, les aspirations, les angoisses... La mort est toujours à l’horizon de la ville, elle établit une frontière, une quarantaine, et conduit l’écrivain (et le lecteur) à s’interroger sur sa propre fin, ou, plus largement sur cette habitude du désespoir à laquelle se résigne la ville.Toute la ville ressemblait à une salle d’attente. Avec la précision et la lucidité du médecin, Camus nous amène aussi à réfléchir sur la meilleure façon dont il nous faut, en tant qu’homme libre, utiliser cette attente.

 

 

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« La Peste » de Camus aux portes d’Oran et de La Rochelle (3/10)

Publié le par Eric Bertrand

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Alors que la peste s’installe, chacun est renvoyé à lui-même et à sa propre liberté d’agir face au fléau. Le marchand de vin Cottard (qui voit dans les conditions nouvelles l’occasion d’un commerce juteux), l’écrivain Grand (qui travaille inlassablement ses phrases pour trouver la meilleure), le journaliste Rambert (qui décide de rester « au combat » plutôt que de rejoindre sa femme dont il est éperdument amoureux), le prêtre Paneloux (qui insiste sur la malédiction du ciel et qui invite les hommes à se repentir), le docteur Rieux (qui ne croit pas en Dieu et qui affirme face à Paneloux que la meilleure miséricorde consiste à assumer sa fonction de médecin et de résister).
                Avec Tarrou, autre résistant dont il partage les idées et en plus des soins qu’il dispense comme il peut, Rieux organise par exemple de nouvelles « commissions sanitaires » pour lutter à l’aide de bénévoles. Avec acharnement, il se lance dans cette « bonne action » qui lui vient naturellement et au sujet de laquelle il ne souhaite tirer aucune gloriole : il affirme que le fait de parler d’héroïsme à propos de ceux qui ont choisi le combat, ce serait rendre hommage au Mal. Mieux vaut mettre cette force de conviction au service de la lutte contre cet ennemi barbare, qui frappe aveuglément l’humanité. Le combat peut sembler dérisoire, déséquilibré, mais, même s’il est absurde, il trouve tout son sens dans l’affirmation de la grandeur humaine.

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« La Peste » de Camus aux portes d’Oran et de La Rochelle (2/10))

Publié le par Eric Bertrand

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Une sinistre apparition de rats morts dans la ville d’Oran marque le début du roman. Cette présence macabre génère des réactions diverses d’inquiétude chez les uns ou d’indifférence chez les autres. L’un des personnages, nommé Grand, décrète par exemple : « J’ai d’autres soucis ». Puis les rats disparaissent et des formes inquiétantes d’épidémie (bubons sous les aisselles, sur le cou et à l’aine) se déclenchent alors chez certains patients du docteur Rieux (personnage principal de cette « chronique » dont il se déclarera le narrateur à la fin du roman).
                Dés lors, il faut définitivement admettre l’inadmissible : la maladie, dont les signes avant-coureurs se multiplient, est la peste, cette maladie quasi « légendaire », dont on connaît la réputation, les ravages, mais dont on ne supporte par la réalité. Et pourtant, jusqu’au dernier moment, beaucoup refusent encore l’évidence, cherchent à se rassurer, à gagner du temps et c’est tout le sens du chapitre consacré à la réunion de la « commission sanitaire » qui réunit les autorités civiles et médicales et qui montre les ultimes tergiversations. En 1947, date de la parution de cette œuvre qui vaudra à Camus le prix Nobel de littérature, cet épisode résonne particulièrement dans la mémoire de ceux qui ont assisté à l’irrésistible montée de la « peste brune » et constaté la lâcheté des pays d’Europe face à la montée du nazisme.
 

 

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« La Peste » de Camus aux portes d’Oran (1/10)

Publié le par Eric Bertrand

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Une occasion nous est donnée de sortir nos élèves du côté de la culture : un cinéma de la ville propose une captation de la pièce adaptée du roman de Camus « La Peste ». Suite à cette projection, nous aurons la chance d’échanger avec le metteur en scène et interprète Francis Huster.
                J’ai appris la nouvelle avant les vacances, ce qui m’a permis de remettre le nez dans ce beau roman lu il y a très longtemps et d’envisager une préparation à cette sortie. Je vous propose d’en profiter à travers la nouvelle série d’articles que je mettrai en ligne à partir de demain.

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