Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

livres

La grimace et les sourires de « L’Homme qui rit »

Publié le par Eric Bertrand

 

 

Il reste pour moi l’œuvre majeure du romancier qui y condense tous les éclats de son  génie... Comment présenter une « œuvre océan » (la métaphore n’eût pas déplu à son créateur !) ? J’y suis pourtant revenu (et pour diverses raisons) plusieurs fois déjà ?

            Dès onze ou douze ans, j’ai ouvert les pages illustrées d’un ouvrage ancien qu’avait eu la gentillesse de me prêter (à moi, l’enfant lecteur !) une amie de ma mère. La bonne fée me le remit en grandes pompes (un pavé de 800 pages) comme elle eût fait d’une friandise ou d’un paquet de papillotes un jour d’étrennes, en me tapotant les boucles blondes et en affirmant : « Toi qui aimes Hector Malot et « les Misérables », lis donc, ça peut pas te faire de mal ! ».

            Je m’en souviens parfaitement, c’était pendant l’une de ces périodes bénies de convalescence où, tout au long d’une semaine pluvieuse d’hiver, suite à une angine, j’avais été obligé de « garder le lit ». Ou plutôt, ce fut le livre qui me garda ! Je ne m’en détachais plus. Un océan démonté, une falaise abrupte sur une côte de Grande-Bretagne, une tempête de neige et un enfant de dix ans (un frère !) abandonné au bas de la falaise...

La cahute d’un vieux philosophe, ami d’un loup et ennemi des hommes... Un vieux sage misanthrope qui débite en riant des vérités assassines, flanqué d’un loup affectueux qui tempère l’amertume de ses propos... La vie austère et chimérique de ces « clochards célestes » qui sont aussi des saltimbanques... Un spectacle de théâtre baroque sur un sujet étrange et primitif. Une aveugle amoureuse d’un monstre, un peu Quasimodo et Esméralda que j’avais vus à la télévision, mais en plus sauvage, en plus élémentaire...

Une bouteille à la mer, les effrayants Comprachicos qui effaraient Rimbaud, la grimace d’un Titan qui hurlait dans le désert : « Je ris, cela veut dire « je pleure »... Une duchesse lumineuse, mi sirène mi pieuvre (je venais de terminer « les Travailleurs de la mer » et je trouvai que la splendide Josiane avait quelque chose de l’horrible monstre de la grotte sous-marine enchantée où Gilliatt retrouve les squelettes de ceux qu’elle a avalés) ...Une remontée des courants marins au gré du flot et le renversement de situation qui fait basculer le destin d’un homme, « les tempêtes d’hommes pires que les tempêtes d’océan »...

Voici sous forme d’échantillons les « fioles » d’émotion que j’avalais à cette première lecture de « l’Homme qui rit ». Je crois que je lui dois en partie cette fascination qui m’a étreint par la suite devant les paysages rudes et dépouillés d’Ecosse et, dans une moindre mesure, de Bretagne.

Voir les commentaires

Passion contre raison, Tristan, Titus, Roméo et autres Bérénice

Publié le par Eric Bertrand

100-6781.JPG

 

Raisons morales ou raisons de famille,raisons religieuses ou raisons d’état... « Le cœur a ses raisons que la raison ignore », il semble que les grandes histoires d’amour ou les grands mythes fondateurs nous racontent tous la même histoire... Celle de l’homme aux prises avec ses tourments. Voyons par exemple Tristan et Iseut, forcés de se marginaliser et de cacher dans l’épouvantable forêt du Morois pour pouvoir s’aimer, Roméo et Juliette contraints à des « stratagèmes d’outre-tombe », ou encore la belle tragédie de Racine, « Bérénice ».

                Titus est empereur et la loi romaine lui impose de renoncer à l’étrangère Bérénice dont il ne peut se passer. Exceptionnellement, pas de morts, pas d’issue fatale dans cette tragédie. Toute la tension de la pièce réside dans la souffrance cuisante et le sacrifice progressif qui consiste pour Titus à accepter un lent travail d’écorchement...

                En tant qu’empereur, il lui faut se résigner, supporter, endurer la douleur de voir Bérénice, de savourer sa présence, son discours, sa grâce et en même temps de voir arriver, comme un personnage qui vient annoncer, inexorable, la disparition d’un être cher (Théramène déchiqueté par un monstre dans « Phèdre »), le moment où il faut que les amants se quittent... Définitivement.

                « Tristesse majestueuse » de l’acceptation racinienne. La raison de l’empereur et le cœur de l’amoureux roulent sur la poussière du ring racinien, s’indignent et se dressent l’un contre l’autre , toujours soucieux de majesté, dans un affrontement schizophrène. « Pourrai-je dire enfin : « Je ne veux plus vous voir ! » se demande l’empereur.

                Lorsque l’irréparable a lieu, comme en toute fin de tragédie (« dans la tragédie, on est tranquille » disait Jean Anouilh), la passion a-t-elle définitivement déserté le cœur de l’empereur ? Finalement, aux yeux du spectateur, rien ne s’est produit ! Mais ce rien a quelque chose de terriblement bovaryen !

 

Voir les commentaires

Zola homme de science et grand romancier ?

Publié le par Eric Bertrand

Rues le 21 [1600x1200]

 

Il y a parmi vous des amateurs de Zola... Alors, prêts pour un petit exercice de dissertation que j’ai donné afin de permettre à mes élèves de secondes d’utiliser les connaissances que je leur avais communiquées pendant la semaine dans le cadre d’un cours sur les écrivains réalistes et naturalistes...

 

 « Zola est à la fois un homme de science et un grand romancier » : commentez ce point de vue d’un critique contemporain.

 

« Zola est à la fois un homme de science et un grand romancier » : cette phrase d’un critique contemporain est un hommage aux qualités qui ont fait de cet auteur célèbre à la fois le chef de file du naturalisme et le grand écrivain classique si souvent étudié dans les classes.

A la suite de Flaubert et de Balzac, Zola a cru très vite en une « littérature autopsie », capable d’examiner sans reculer le fond de l’âme humaine. En disciple des grands scientifiques de son époque, Charcot ou Claude Bernard, il entreprend dans son œuvre d’appliquer la théorie des lois de l’hérédité. C’est dans ce sens qu’il faut lire la série des Rougon Macquart qui entreprend de saisir chacun des personnages par le biais d’une lecture génétique de sa destinée. Ainsi, le lecteur comprend mieux les tourments de Jacques Lantier malheureux héros de la Bête humaine ou de Gervaise, héroïne de L’Assommoir : tous les deux, comme bien d’autres, portent en eux la marque de la fêlure initiale, celle de l’ancêtre Macquart.

               Mais si, comme il l’affirme d’ailleurs dans ses préfaces, Zola est « un savant » il n’en est pas moins un grand romancier. En effet, il crée une galerie de personnages très variés qui amènent le lecteur à circuler avec bonheur dans tous les milieux du Paris de son époque. Avec un sens avancé du récit et du suspense, il nous raconte leur histoire. La forme qu’il utilise est également un élément de qualité : la grande nouveauté de Zola (et en cela il anticipe sur les travaux des grands romanciers du XX° siècle) c’est d’avoir un sens particulier de la langue, d’avoir cette passion de « la philologie ». Il l’affirme nettement dans la préface de l’Assommoir et met ce talent en pratique dans la narration, réalisant ainsi un formidable travail lexical qui unit aux termes soutenus « la langue du peuple ». Populaire et raffinée, la langue de Zola constitue un régal pour le lecteur avide de « style » et de « contenu ».

 

Voir les commentaires

Relecture du « Vieux saltimbanque » de Baudelaire : les livres qui ne jonglent plus...

Publié le par Eric Bertrand

Tambre (15) [1600x1200]

Au milieu de la fête, des coups de cymbale et des flonflons, isolé de l’autre côté de la rigole et ne rigole pas, tel le vieux saltimbanque de Baudelaire, le vieil écrivain est tassé sur sa chaise. Le visage porte une blessure. Son beau regard est un peu humide, les mains tremblent, le stylo est tombé. La foule des badauds passe : même passivité, flux continu, docile, insatisfait.

                Les livres sont là, au stand, sur un coin de gondole, figés dans le marbre des mots. Il les a pourtant fait danser, tournoyer, sauter sur ses genoux. Ils sont devenus grands, sérieux, puis un jour, rigides, de plus en plus rigides, ils ont fini par tomber, raides.

                Désormais, ils gisent sous la dalle et le vieux saltimbanque les veille encore. Il rumine, palpite sur son siège, se dit que ses livres sont toujours beaux, jamais évanescents. Au contraire, l’encre sur la page blanche réalise le paradoxe de leur « spiritualité ».

 

Tambre (14) [1600x1200]

 

 

 

Voir les commentaires

Un résumé pour « Tigre en papier » d’Olivier Rolin

Publié le par Eric Bertrand

 

 

Dans ce roman (largement autobiographique) même si le héros s’appelle Martin et non Olivier, le narrateur, installé sur le siège de sa vieille DS modèle 67, remonte le temps (et le périf parisien) en compagnie de la fille de Treize, son ami, avec qui il a vécu les grandes heures de mai 68.

                La présence troublante de cette « Chloé », âgée à peine de 18 ans, perturbe et grise le narrateur au point qu’il tourne toute la nuit sur le périf et qu’il trouve le temps de raconter le passé et de poser sur ces années folles un regard caustique, à la fois tendre et implacable.

                Certes, il n’est pas facile de faire comprendre à une étudiante, véritable produit d’une société de consommation forcenée, ce qu’a pu être le rêve de cette génération dont faisait partie son père. Martin a conscience d’avoir vieilli, d’avoir changé... Mais il se souvient de tout... Le temps, qu’il appelle « le vieux cachalot », lui a fait perdre ses allures « d’ange des révolutions ». Plutôt qu’au Che, il est obligé d’admettre qu’il ressemble désormais vaguement à Daladier, et les « anciens de la cause » qu’il rencontre avec Chloé au « bal des viocs », comme dans les salons de Guermantes à la fin de « la Recherche du temps perdu », ne sont plus que les pâles reflets de ce qu’ils ont été.

Voir les commentaires