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livres

« Rhinocéros » ou la bête immonde à l’assaut de l’humanité (1/3)

Publié le par Eric Bertrand

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               Et si la bêtise, l’esprit à courte vue, la brutalité, le fanatisme et la violence s’incarnaient dans la peau d’une créature aussi épaisse et impénétrable que le rhinocéros... Lorsque Ionesco écrit cette pièce en 1958, il pense évidemment au nazisme et à toutes ces formes de totalitarisme ou de massification qui ont marqué (et continuent de marquer) la vie en société.

               Comme les animaux malades de la peste de La Fontaine, ces « fauves » (c’est ainsi que les désignent les personnages), n’ont aucune réalité biologique. Ils existent, ils paradent, ils écrasent tout sur leur passage, ils terrifient ou fascinent, et, bien évidemment, ils sont contagieux. On l’a compris, la « rhinocérite » est une épidémie. Les « pachydermes » barrissent et galopent dans tout l’espace scénique, ils prennent de la place, ils prolifèrent, et les uns après les autres, les personnages de la pièce sont atteints. Mr Bœuf, le bien nommé, en est la première victime, tout comme « la grosse Mme Bœuf » qui ne peut pas se passer de son mari. 

                 L’angoisse monte pour le personnage le plus lucide et critique de tous, Bérenger, un anti héros qui constate que même Jean, son ami, beaucoup plus cultivé et intelligent que lui, modèle de sobriété et d’honnêteté, est atteint. Personne ne se méfie, les gens s’habituent, vaquent à leurs occupations, s’abrutissent dans le travail, refusent de voir la réalité en face. Rhinocéros ou non, soucoupes volantes ou non, il faut que le travail soit fait...

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« Cinna » de Corneille

Publié le par Eric Bertrand

 

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            On a déjà évoqué dans ce blog qui rappelle parfois des étymologies et le sens premier des mots la signification de l’adjectif cornélien. Chez Corneille, les situations sont à ce point complexes, inextricables et, pour le coup, « cornéliennes », qu’elles constituent la source même du tragique. Les personnages de Corneille sont d’une exigence absolue et ne transigent en aucune manière avec les principes. Prenons « le Cid » déjà examiné ou encore « Cinna », pièce qui fait l’objet de l’article d’aujourd’hui.

           Emilie aime Cinna et exige de lui qu’il tue Auguste qui a naguère immolé son père. Elle met ainsi sa bravoure à l’épreuve et s’assure de la réelle qualité, « générosité » (mot cornélien !) de son amant. Mais en même temps, en se soumettant à ce devoir que lui dicte son honneur et son sens de la filiation, elle sait qu’elle va perdre celui qu’elle aime plus que tout au monde : « Au milieu toutefois d’une fureur si juste, j’aime encore plus Cinna que je ne hais Auguste ».

           Par ailleurs Cinna est reconnaissant envers Auguste qu’il juge un bon souverain. Il est déchiré entre le sens de l’honneur de sa maîtresse et le sens de l’honneur à son roi. Situation comme on le voit bel et bien cornélienne dans une pièce où les impératifs moraux sont la source du tragique.

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« Germinie Lacerteux » ou assommoir à tous les étages

Publié le par Eric Bertrand

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           Le roman des frères Goncourt superpose deux destinées pitoyables : celle de la maîtresse (Mme de Varandeuil) et celle de la bonne (Germinie). Mme de Varandeuil n’a pas eu de chance. Obligée de se dévouer à son père malade pendant dix ans, grand cœur qui continue de se sacrifier aux enfants des « amis », elle vieillit et « n’a plus que le souffle ». Sa bonne, la bien nommée « Germinie », fait aussi bien qu’elle ! Il semble que les frères Goncourt s’acharnent à livrer une guerre impitoyable à toute romance ! Depuis Flaubert, il faut tourner le dos à toute littérature romantique et accumuler les déconvenues pour assommer le personnage.

          Cette pauvre Germinie n’a vraiment pas de chance. Elle se dévoue à la vieille femme. Elle tombe amoureuse d’un jeune homme qu’elle couve mais se le fait « confisquer » par une « grande bringue ». Elle souffre l’amour impossible, s’avilit, entretient le gigolo qui se moque d’elle avec ses maigres économies. Elle lui paie ses caprices. L’enfant qu’ils ont eu tous les deux est mort bien trop vite pour qu’elle ait eu le temps de goûter les joies de la maternité pour laquelle elle se sentait faite. Le désespoir entraine l’aggravation de la bassesse, l’humiliation de l’emprunt, la tentation du vol à la maîtresse, la honte de soi... D’autant qu’elle voue à cette dernière un dévouement aveugle pour lequel elle refuse la proposition de mariage que lui fait un de ses galants. Elle préfère abandonner sa nature un brin nymphomane aux premiers venus...

          Et ainsi, de ruines en ruines, de saletés en saletés, Germinie traîne sa misère et finit par souffrir d’une pleurésie qui l’abat au fond d’un hôpital. Elle est enterrée dans la fosse commune et, comble de ses malheurs, aucune croix ne l’identifie. C’est alors que remonte « toute la crasse », et la maîtresse, stupéfaite, découvre la vie cachée de son exemplaire servante qui laisse derrière elle un paquet de dettes.

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Article du mois : la tablette sous le feu de Fahrenreit 451

Publié le par Eric Bertrand

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Mon prochain livre est annoncé par mon éditeur sous un format numérique... Traitre ! Suis-je en train de passer du côté de ceux qui renieraient le livre ? Outre les questions d’ordre stratégique et commercial, une petite mise au point s’impose auprès de mes lecteurs !

            La prolifération de l’outil numérique présenté comme la grande menace contre le Livre déclenche des passions et des polémiques au milieu desquelles on voit même se mêler ceux qui n’ont jamais été lecteurs et qui, Cassandre de bibliothèques, annoncent déjà l’inéluctable disparition du livre : bruissement du papier qu’on froisse, odeur des pagées avalées à la petite cuillère, ombre tutélaire et rassurante des étagères à livres...

               Gone with the wind ? Envolés au vent mauvais d’un outil diabolique ? D’un ogre mangeur de livres ? D’un lance-flammes lancé dans une impitoyable chasse aux mots ? Ce désolant scénario, rappelle un peu celui imaginé par Ray Bradbury il y a quelques décennies... Fahrenheit 451 : par ordre du gouvernement, des légions de pompiers pyromanes mettent le feu aux livres. Face à l’autodafé, une poignée de héros mènent une bataille acharnée.  Non à l’Infâme, non à la Bêtise ! Il faut jouer l’Esprit contre l’Outil. L’Intelligence contre le Gadget. La Flamme contre le Bûcher !

               Pour résister, les guerriers du feu ont l’idée d’ingurgiter les phrases des livres afin de les conserver dans la mémoire et de les échanger ensuite, en réunions, au cours de longues récitations destinées à entretenir le tison. Comme l’écrit Victor Hugo, « si l’on met le bâillon à la bouche qui parle, la parole se change en lumière, et l’on ne bâillonne pas la lumière ».

               A l’heure du numérique, faut-il donc à nouveau armer la mémoire et redouter la lumière de l’écran tactile ? Les fameuses « tablettes » offrent au lecteur qui se berce de mots l’occasion de stocker, sous de la lumière feutrée, un relai de Pensée, un diffuseur de lumière. Les livres restent à la maison mais en même temps, les livres accompagnent.

              « Les poings dans mes poches crevées, mon paletot devenait idéal »... « Sous le ciel, Muse », je m’en vais désormais, avec, au fond de ma poche, une « barrette de mémoire vive », un vrai « dictionnaire portatif » du genre de celui dont, rêvaient Voltaire et les Encyclopédistes !

 

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La « The Nana » et la Vénus décatie (4/4)

Publié le par Eric Bertrand

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           Pour terminer cette série d’articles sur Nana et la corruption du régime de Napoléon III, il faut laisser bien évidemment une place pour Hugo qui déroule sous les pieds de « Napoléon le Petit » un tapis d’alexandrins... Ainsi, la fin de ce poème qui se nomme « on loge la nuit » et qui donne à voir autrement « la fête impériale »...

 

Regarde, tout est prêt pour te fêter, bandit.

L’immense cheminée au centre resplendit.
Ton aigle, une chouette, en blasonne le plâtre.
Le bœuf Peuple rôtit tout entier devant l’âtre
La lèchefrite chante en recevant le sang ;
À côté sont assis, souriant et causant,
Magnan qui l’a tué, Troplong qui le fait cuire.
On entend cette chair pétiller et bruire,
Et sur son tablier de cuir, joyeux et las,
Le boucher Carrelet fourbit son coutelas.
La marmite budget pend à la crémaillère.
Viens, toi qu’aiment les juifs et que l’église éclaire,
Espoir des fils d’Ignace et des fils d’Abraham,
Qui t’en vas vers Toulon et qui t’en viens de Ham,
Viens, la journée est faite et c’est l’heure de paître.
Prends devant ce bon feu ce bon fauteuil, ô maître.
Tout ici te vénère et te proclame roi ;
Viens ; rayonne, assieds-toi, chauffe-toi, sèche-toi,
Sois bon prince, ô brigand ! ô fils de la créole,
Dépouille ta grandeur, quitte ton auréole ;
Ce qu’on appelle ainsi dans ce nid de félons,

C’est la boue et le sang collés à tes talons,
C’est la fange rouillant ton éperon sordide.
Les héros, les penseurs portent, groupe splendide,
Leur immortalité sur leur radieux front ;
Toi, tu traînes ta gloire à tes pieds. Entre donc,
Ote ta renommée avec un tire-bottes.
Vois, les grands hommes nains et les gloires nabotes
T’entourent en chantant, ô Tom-Pouce Attila !
Ce bœuf rôtit pour toi ; Maupas, ton nègre, est là ;
Et, jappant dans sa niche au coin du feu, Baroche
Vient te lécher les pieds tout en tournant la broche.

Pendant que dans l’auberge ils trinquent à grand bruit,
Dehors, par un chemin qui se perd dans la nuit,
Hâtant son lourd cheval dont le pas se rapproche,
Muet, pensif, avec des ordres dans sa poche,
Sous ce ciel noir qui doit redevenir ciel bleu,
Arrive l’avenir, le gendarme de Dieu.

 

 

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