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livres

"Brûlant Secret" de S. Zweig

Publié le par Eric Bertrand

                 Le romancier autrichien S. Zweig est à mes yeux, à l’instar de Maupassant dont il était grand lecteur, un maître dans l’art de la nouvelle. A la différence de l’élève de Flaubert, ce contemporain de Freud s’attache davantage aux méandres de l’âme humaine et aux tourments de l’inconscient.

                C’est particulièrement le cas dans la dernière nouvelle qui vient de paraître et qui a pour titre « Brûlant secrêt ». Elle centre la narration (et ce parti pris est en soi intéressant) sur la conscience d’un enfant qui séjourne avec sa mère dans un grand hôtel autrichien. Il fait la connaissance du comte, un séducteur dilettante, qui cherche à se divertir en jetant son dévolu sur cette dame délaissée par son mari.

                 L’enfant, nommé Edgar, lui sert de moyen d’accès à l’inaccessible bourgeoise. La stratégie d’abord mise en place par le comte pour séduire le gamin est vite oubliée au profit d’une stratégie à caractère plus suspect. Et l’enfant n’est pas dupe ! Edgar, d’abord enchanté d’exister devant sous le regard d’un adulte, prend vite conscience de n’être plus qu’un obstacle à la réalisation du « brûlant secrêt ».

                 Il met alors tout en œuvre pour s’opposer à ce rival. Il incarne sans le savoir la figure d’un jaloux et cette épreuve le fait grandir, s’affirmer dans un monde qu’il ne connaît pas mais qu’il pressent avec une incroyable acuité.

 

Eté 2010 (80) [1600x1200] 

 

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Draguer sur le ponton et dans « le Ponton »

Publié le par Eric Bertrand

                   C’est donc avec une sorte de jubilation que j’ai rejoint à la brasse, au large de la longue plage du Maurillon, l’un des pontons sur lesquels viennent se rencontrer, jouer, causer, plonger, sauter, discuter, draguer, rêver (que sais-je encore !...) les baigneurs en vacances !

                   Vus de loin, ce ponton ressemble comme tous les autres à une petite scène de théâtre dérivant au beau milieu de l’eau et quasi sans spectateurs ! C’est cette évidence qui m’avait, il y a quelques années, inspiré la pièce et le récit intitulés « le Ponton ». Comme sur la scène, c’est dans cet espace de fortune bien délimité que peuvent se nouer les fils d’une intrigue…Au théâtre, les choses ne traînent pas pour intéresser le spectateur ! C’est le lieu de la précipitation de l’action (sens étymologique du mot « drame » !) Dans le Ponton, bien évidemment, la fiction s’était emparée du motif au point d’en faire une histoire un peu surréaliste qui se serait tramée autour et à partir de ce lieu fondateur !

                     Mais les premiers moments de la pièce et du récit renvoyaient clairement à cette situation bien particulière liée à la réalité de n’importe quel ponton où peuvent se côtoyer, l’espace d’un instant, des gens tellement différents… Enfants, adolescents, adultes, vieillards, de toutes les nationalités et porteurs toutes les mentalités, discours, mots, expressions, gestes… Un ponton est un beau laboratoire !

 

Juillet 2010 (76) [1600x1200]

 

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Souchon Arcimboldo

Publié le par Eric Bertrand

            L’amour est éphémère, c’est le sujet principal des chansons de Souchon. Le temps qui passe, les couleurs qui ternissent, les pétales qui se fanent... « L’amour à la machine », « la vie c’est détergent »... C’est aussi de façon métaphorique le phénomène qu’il analyse dans la belle chanson du dernier album intitulée « les saisons ».

            Ce texte rappelle un peu ces tableaux du peintre Arcimboldo qui met en scène des personnages à la chair « légumière » ou « fruitière ». Chez Souchon, comme un vent léger, l’amour glisse sous la peau, fait dresser le poil ou les cheveux, sème le frisson, la tiédeur, la torpeur ou la tempête, fait couler la source, le torrent ou la rivière, « habille » les silhouettes de primevères, de bouquets de roses et de cerises. « Croquer le nez, manger les joues », « le rose initial », « le bleu de nos baisers du début ».

            Mais « le soleil de la vie les tabasse »... Et alors, les grands tournesols éclatants qui rayonnaient dans les yeux et poussaient dans le ventre retrouvent tout à coup leur fonction d’héliotropes. Le soleil a roulé, l’été tourne le dos, les blés ont sêché, la pelouse a grillé et les petits rossignols entêtés ont déserté les arbres.

 

C'était l'amour et c'était l'automne
Dans le grand parc où frissonne
Parlant de nous, de nos baisers en allés
En marchant dans les allées
Disant de l'amour pour quelle raison
Ce n'est jamais la saison.

 

             Relisons pour le plaisir ce dernier couplet des « Saisons » et souvenons-nous aussi de « l’amour 1830 » « dans ce parc au point du jour (...) » ou du mélancolique « Colloque sentimental » de Verlaine :

 

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
 
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.
 
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé (...).

 Eté 2010 (206) [1600x1200]

 

Eté 2010 (207) [1600x1200]

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"Le marin" de Souchon...

Publié le par Eric Bertrand

 

                        Dans la lignée de l’article précédent je livrerai encore ces quelques réflexions autour de la « Simca rouillée » dont Souchon à la fin du « Marin » fait une métaphore de la vie. La vie est « une Simca rouillée », à savoir une vieille bagnole qui a eu son heure de gloire (on se souvient de la Chrysler de Jim, ou de la Formule 1 de « j’suis bidon ») et qui continue à avancer, cahin-caha malgré la rouille, malgré les chocs et les incidents de parcours.

                         Et du même coup, toute la chanson est à relire comme une allégorie de la vie (cette entrée fournit une clé similaire à celle que l’on peut utiliser quand on lit l’étrange et grandiose poème de Rimbaud « le bateau ivre ») : le personnage principal du « marin » joue pour l’auditeur, le lecteur, le rôle de n’importe qui partant dans la vie avec des rêves pleins la tête et se retrouvant, au bout de ses années, avec une immense frustration.

 

Le bleu qu'il met dans sa vodka,

Ca lui rappelle,

Tous les "j-aurai-dû" "y'avait-qu'à",

La Rochelle

Il voulait Molène en mer d'Iroise, les ancres rouillées

Les baleines, la belle turquoise, les coffres oubliés

Les sirènes, les belles sournoises, les grands voiliers

La vie le promène en Seine et Oise, dans sa Simca rouillée (…)

 

                    Que le lecteur veuille bien se souvenir de ce qu’il a mis dans ses « coffres oubliés » et qu’il regarde en face « les sirènes » qui partagent sa vie ! (Ou inversement : le chanteur n’est pas tendre avec les maris dans les Audis et qui « foutent des marrons » aux filles qui gardent le mystère qui plaît tant !)

Pas d’eau sucrée chez Souchon ! Mais du vitriol !

 

Aix (10) [1600x1200]

 

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La petite Bill et le petit caporal de centre commercial

Publié le par Eric Bertrand

« Il voulait Molène en mer d’Iroise, les coffres rouillés, les baleines, les belles sournoises, les grands voiliers  mais il promène sa vie en Saône et Loire dans sa Simca rouillée »

                   Ces quelques vers de « le Marin » préludent assez bien à cet article dont le titre cherche à rendre compte de l’univers des chansons de Souchon. Souchon avance en effet dans ce domaine comme certains de ces écrivains qui créent leur univers propre en variant la même thématique. Au fil des œuvres, le lecteur retrouve « le sol » de ce que Proust qualifie de « planète unique à chaque artiste ».

                 Appuyons-nous sur deux exemples particulièrement « fondateurs » : « la petit’Bill » et « Le Bagad de Lann Bihouée »... ils datent tous les deux des années 70-80. Pourtant, si on en épluche les thèmes, ils font écho à des textes beaucoup plus récents « Tailler la zone » ou « le Marin » ». Le « je » de Souchon occupe le centre de ses chansons, un peu comme Woody Allen jouant dans ces rôles mélancoliques et burlesques dont les personnages lui ressemblent étrangement....

                   Belles idées, tempérament romanesque, clichés romantiques, et à chaque fois désillusion, rêves brisés, cochonneries de consommation qui se combinent à « la grande aventure tintin » ! « La Ptit’Bill elle est malade »… Madame Bovary est l’aînée de la petit’Bill : comme elle, « elle a trop lu de littérature »… Mais Bill est une enfant de la société de consommation et ce milieu est un facteur aggravant qui produit l’effet burlesque. Souvenons-nous du roman de Flaubert : le Rodolphe d’Emma lui semble un de ces « cavaliers au grand coeur à bottes doublées de velours ». Chez Souchon, il mute en « petit caporal de centre commercial, moche en moustaches, en laides sandales ».

                   Ce héros romantique attardé a recyclé dans un espace piteux son rêve de cornemuse et ses « soixante kilos d’échevelé poète ». Rodolphe « a débordé de son jean », il a changé son avatar, parce que « la groupie fait de la bonne cuisine ». La petit’Bill de la « foule sentimentale », « la belle danseuse » n’est pas épargnée non plus… Mais elle garde au fond de sa mémoire ses rêves d’héroïsme, « cet œil profond d’hidalgo tango, ces joues creusées de guerillero »… « L’albatros patauge dans l’ice-cream » : tout est dit... l’aventure est emballée et quelque chose comme le spleen baudelairien alimente le sourire caustique de « l’espadon dans sa baignoire » !…

 

Aix (11) [1600x1200]

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