Elle s’est tenue au Moulin à Sons, sans Françoise ni Julie, occupée à réviser pour le bac blanc. On a donc axé sur la deuxième partie du texte, celle pendant laquelle Rebecca est censée être en
coulisses. L’occasion de travailler le détail de cet acte au cours duquel se déchaîne la violence.
"Il est toujours dangereux de
se promener le soir, du côté de la Baie des Sinclair"
Violence des discours, violence de John Sinclair, ombrageux amant enfermé dans le cachot, violence de Georges, frère
vicieux et corrompu, parfait élève de Machiavel : « Quand on veut le pouvoir, on avance masqué », violence sadique du Master, ivre de son pouvoir et de ses ambitions,
violence des sorcières qui sentent venir le moment de la curée, violence de Fiona, enragée par l’enfermement et le gâchis de ses belles ambitions…
Ce déchaînement de violence est visible et audible sur la scène, cris, gestes, accessoires : la canne du
Master avec laquelle il défie le fils maudit, la bouteille de whisky qui permet aux deux frères ennemis de s’entretuer et aux sorcières de se disputer mesquinement, le couteau laissé sur la scène
par Rebecca… Les discours sont ponctués de signes de cette violence, hurlements, halètements, gestes de défi… l’occasion de rappeler aux comédiens la nécessité du silence et de la mesure de la
passion ou de la rage à extérioriser.
Proposition de costume pour Léonor : une robe rouge, décolletée qu’elle porte désormais pour incarner Fiona.
Cela permet de mieux la distinguer de son personnage de Heather et souligne la noblesse de son tempérament. Il faudra ajouter un chemisier blanc, vaporeux, pour effacer la chair, spiritualiser la
silhouette.
A noter, nous avions un visiteur : Fabien, ex acteur de la troupe il y a deux ans. Il a joué dans L’Homme à
la tête de chou et au cœur d’artichaut, il était Max (et c’est en clin d’oeil à Max que j’ai choisi le nom du personnage qu’incarne Matthieu) et dans Loft History 2084, il était
l’homme du futur, nommé Béta, en référence à la société du futur imaginée par Aldous Huxley dans le Meilleur des mondes. Comme il le constate lui-même, les choses ont changé depuis car il
garde en mémoire le ton parodique et joyeux du Loft et la référence à un univers télévisé… alors que là ! …
NB : la semaine prochaine, même endroit, même heure, même acte. Mot d’ordre : savoir le
texte ! On prévoit également une répétition le samedi des vacances (18.02) entre 13h30 et 15h30, au Moulin à Sons : sont concernées seulement les trois sorcières claquettistes...
les formules à double tranchant
Le machiavélisme de la sorcière... Je cite quelques-unes de ces formules ambiguës : au début, par exemple, elle invite les
deux autres à retourner à l’hôtel : plutôt que de perdre notre temps, retournons travailler nos personnages à l’hôtel . Ici, il faut plutôt comprendre qu’elle est agacée, fébrile,
qu’elle cherche à savoir si tout est prêt, à s'assurer en tout cas auprès de Sheumas (que les deux autres, d'humeur plus taquine, ont simplement envie d’embêter). Au début de l’acte deux,
quand elle attend l’arrivée du reste de la troupe, elle n’en peut plus d’impatience : je me sens nerveuse… je vais le chauffer votre ceilidh… un masque de carnaval sur le visage, et la
danse brésilienne qui me remonte l’échine de la mémoire… Cette dernière expression n’est pas seulement une figure de style, c’est l’évidence du dénouement : le départ vers le Brésil aux
côtés de son amant. Citons d’autres exemples : il va se passer quelque chose…et quand elle dialogue avec les esprits : prend mes bras, ce qui annonce le couteau contre
Rebecca (en cela, elle semble elle aussi être consciente de la faiblesse de Ronald et, comme Rebecca, vouloir offrir "son bras" pour lui donner la force de l’acte…. La scène où elle fait tourner
les verres avec les autres constitue d’ailleurs pour elle une répétition du crime qu’elle mijote. Quand elle taquine Heather, qu’elle trouve trop maquillée et qu’elle invite à aller se laver les
mains, peut-être redoute-t-elle quelque chose comme le remords qui tenaille Lady Macbeth après le meurtre de Duncan.... Quand elle s’écrie à la fin de la scène, un verre c’est comme un
acteur, il faut bien qu’il retourne à sa vraie fonction ! C’est à elle qu’elle pense : tout ce carnaval auquel elle se livre n’a qu’un but, la réalisation du plan qu’elle a prévu
avec ses complices. Quand le dénouement approche, le texte qu’elle dit semble encore davantage lui offrir l’occasion d’une répétition, d’une conjuration du sang qu’elle va faire couler :
tu cherchais des idées pour faire couler le sang, Georges ? Et quand elle lance ce curieux aphorisme : tout comme la femelle a besoin du mâle pour copuler, la sorcière a
besoin de l’homme pour briller elle manifeste à la fois une ambition et une inquiétante libido à venir. C’est aussi la raison pour laquelle je lui ai donné cette origine brésilienne et ce
goût pour le carnaval et le masque, auxquels elle fait à plusieurs reprises mention. Ne confie-t-elle pas à Ronald, à la fin de la pièce, nous pouvons maintenant nous aimer à visage
découvert.
Les spectateurs perspicaces disposent d’autres signes pour percer à jour ce personnage. Le ton de la voix, certaines
mimiques, le motif du couteau (image très hitchcockienne !)… peuvent être interprétés dans ce sens. La mise en scène et la comédienne trouveront sans doute, sur ce thème, d’autres ressources
à exploiter…
Right in the moorland ...
Le double langage de la sorcière
Dans la pièce de Shakespeare, les sorcières incarnent les figures du Destin. À la manière du chœur antique des
tragédies grecques, elles chantent l’avenir et savent tout. Comme elles ne sont pas complexées (c’est le moins qu’on puisse dire !), elles le disent haut et fort. Cependant, leur
fonction est complexe.
Elles incitent Macbeth à devenir roi, mais elles y parviennent grâce à l’intervention de l’ambition démesurée de
lady Macbeth. En d’autres termes, la sanglante épouse met un couteau dans la main de son mari pour aider le destin. Et les sorcières se font spectatrices. Elles se mettent au premier rang et
jouent un peu le rôle de la claque ! Elles assistent avec avidité à ce spectacle qu’elles ont suscité. Elles augmentent le fameux effet de catharsis !
Elles sont plus démonstratives que le spectateur. Elles dégoulinent, elles jubilent, et cette jubilation est affaire
de langage. Par la suite, elles retrouvent Macbeth et lui tiennent des propos cryptés : par exemple à propos de la forêt qui marche : tant que les arbres de la forêt de Dunsinane ne
marcheront pas, tu ne craindras rien, Macbeth ! Avant d’être effectivement confronté à cette réalité impossible qui est surtout feinte et faux-semblant du langage, Macbeth ne comprend
pas et se fie sinon à la folie des sorcières du moins à leur incompétence…
De la même façon, j’ai voulu faire de la sorcière Lou, incarnée par Jennifer, un personnage masqué. C’est la seule
des trois qui connaisse le projet de Ronald. Quand ses deux comparses se laissent aller à un « innocent » délire verbal, elle semble se prêter au même jeu, mais en même temps, elle
pratique un double langage : elle pérore, elle prévoit, elle annonce ce qui va se passer… Tout ce qu’elle fait et dit doit alors être passé au crible… Je propose demain de revisiter quelques
endroits du texte pour arborer le couteau qu’elle cache et expliciter ce langage à double tranchant qu’elle manie avec machiavélisme !
La tour d'Ackergill, que hante la green lady.
Merry dancers
Juste un peu de cette belle lumière du ciel d’Ecosse certains soirs. Aurore boréale (au Caithness, on appelle cela les « merry dancers ») pour recommencer la semaine après un week-end
très chargé du côté de Nantes en ce qui me concerne… Il faudra que je parle de mes « traques » de northern lights…
Rock en contrepoint du côté d'Ackergill
Retour sur la scène du Moulin à Sons avec la troupe au complet et les progrès que chacun a faits de son côté au cours des ateliers isolés des dernières semaines. Cela a porté ses fruits…

Put the stage in the moorland...
Le seul inconvénient ce soir-là, c’est la cohabitation avec le groupe de rock branché qui allumait la salle
au-dessus. Malgré l’insonorisation, difficile de ne pas entendre les décibels… Fâcheux effet de contraste entre la mélancolie ou le caractère tragique de certaines scènes et les variations de
micros et de guitare électrique. Effet de contrepoint qui prenait parfois des allures grotesques.
Belle performance de la plupart des personnages pour parvenir à tenir tête aux circonstances et à rester concentré
malgré tout. Julie notamment, rayonnante dans le fourreau noir que nous lui avons suggéré d’enfiler pour jouer Rebecca, trouve des accents tragiques de plus en plus justes. A la manière de Ronald
qui se grise de son jeu dans la tirade de Lady Macbeth, on a envie de lui dire : « Comme cela fait du bien d’entendre cela… ».
Sélouane a eu un peu de mal à se concentrer mais de bons moments laissent augurer une bonne réussite pour son
personnage. Elégamment vêtu, avec sa veste trois quarts et son écharpe blanche, avec sa canne de dandy qui accentue le trait méprisant, il semble avoir trouvé sa pleine mesure.
Par convention, la répétition implique l’ensemble de la pièce, d’où la nécessité d’aller vite. Mercredi prochain,
nous reviendrons sur l’acte 2 qui fonctionne déjà assez bien, alors que nous ne l’avons joué que deux ou trois fois. Cela s’explique en partie par le fait que les personnages dans cet acte jouent
leur « pièce dans la pièce ». Sheumas devient Georges, cynique à souhait, bavant de méchanceté. Max devient John aux accents déchirants et Heather devient la tendre et éplorée Fiona.
Quelques arrêts sur images, quelques trouvailles :
- Le passage sur scène de Nolwenn quand les sorcières sont en ville et qu’elles
cherchent désespérément un passant (Nolwenn est ma fille, elle a dix ans et fréquente assidûment les planches depuis longtemps. A chaque fois, son rêve c’est de décrocher un petit rôle)…
- Le cri de Suzy dans les coulisses quand elle découvre que Heather a été tuée,
c’est Léonor qui le poussera : elle a en effet une forte puissance vocale.
- Le couteau de Rebecca doit servir à Lou. Ce n’est pas un simple jeu de scène. Le
poignard a une fonction dramatique… il préfigure l’acte qui va être commis. Seul, le spectateur averti ou perspicace peut le percevoir. Je reviendrai d’ailleurs la prochaine fois sur le
personnage de Lou et la surprise de la fin. Il n’y a qu’à condition d’une connaissance de la fin que le spectateur peut percer à jour l’ironie tragique de cette sorcière
libertine !
Put the stage in the moorland...