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Dans l’atelier d’un livre, épisode 14 : confidences de lecture (3/3)

Publié le par Eric Bertrand

Alors que "Lire et pâlir à sa vue" commence à arriver chez celles et ceux qui l’ont déjà commandé et qu'un premier article relatif à sa publication est programmé prochainement, voici le dernier volet de cette série de trois consacrée aux « confidences » que les lecteurs et lectrices ont eu la délicatesse de me fournir. L’une d’entre elles se revoit enfant, auprès du feu, attachée à son livre et incapable de lâcher prise, au point de chercher à se claquemurer entre la page du début et la page de fin et refusant obstinément les invitations de ses amies à venir jouer, ou plus tard, à aller danser. D’autres d’ailleurs se souviennent aussi de leur enfance et de leur adolescence et évoquent avec mélancolie la présence obsédante de ce compagnon d’intimité qui leur permettait sans faire de bruit, de transgresser la Loi, car on leur disait toujours que « lire, c’était perdre son temps », c’était aussi ne rien produire de concret, se bercer d’illusions ou verser dans des pensées vicieuses. Comme disait ma grand-mère : « lâche donc ce livre, ça va finir par te donner des idées… »

En t’enfermant dans un livre, tu peux rendre jaloux les autres. Qu’est-ce qui vaut le mieux ? Une sortie en boite ? Une rencontre sur Meetic ? Une série Netflix ? Ou alors un bon livre qui ne te décevra pas ? Une lectrice se souvient : « Douce fébrilité quand j’étais gamine devant je ne sais plus quelle série télévisée et qui me prenait encore plus fort quand un livre me happait et qu’il me fallait cependant le refermer dans l’attente délicieuse d’y revenir. »

         Et comment résister ? La lecture offre un moment de grâce et d’oubli qui reste ancré (et encrée) au cœur à la façon de l’un de ces souvenirs miraculeux qui jalonnent l’existence : « Le plaisir de l'interdit, le délice des couvertures et des mots cachés et découverts sous la lampe de poche… Rien ne pourra changer ce que j'ai vécu avec la lecture dans ces moments-là et je recherche souvent ces instants de plénitude. » La lecture transporte. Elle amène loin et fait vivre à peu de frais, des aventures que le monde réel ne peut offrir. « Je ne suis plus la fade personne que je suis dans la "vraie vie" mais une héroïne qui n'a peur de rien ou une pauvre âme sur laquelle tous les malheurs s'abattent mais je "vis" une vie parallèle et deviens une autre. » 

Tout cela peut tout simplement avoir lieu au fond de son lit « avant de s’endormir, comme toutes celles et ceux qu’on appelle librocubicularistes » ou sur le siège d’un train qu’on attend impatiemment de prendre le matin ou le soir ; alors, les paysages et les visages se mettent à défiler, les poteaux télégraphiques et les lignes sur la buée des vitres : « Lorsque je travaillais, je me réjouissais de prendre et de reprendre inlassablement le train. » Mais avec le livre, il n’y a jamais de terminus. Car l’un des plaisirs de lecteur, c’est aussi celui de pouvoir partager et de léguer aux autres les mots et les histoires. À deux semaines de la dernière édition des nuits de la lecture, plusieurs lecteurs confient le plaisir ressenti à faire entendre des textes ou à lire des histoires, et notamment aux enfants : « Moment de partage magique grâce à la capacité qu’ils ont à s’émerveiller, à vivre pleinement l’histoire, à laisser leur imaginaire les emporter ». Une lectrice se souvient d’un oncle qui lisait à voix haute auprès du feu et qui, par ses mimiques, la troublait et la faisait rire parce qu’il était comme possédé par les fantômes du récit.

Je reviens sur cette dimension du livre comme outil merveilleux de communication la semaine prochaine.  Et pour celles et ceux qui souhaitent commander « Lire et pâlir à sa vue », passez par ce lien et bénéficiez d’une réduction jusqu’au 21 février en tapant le code PALIR5 : https://www.helloeditions.fr/product/lire-ou-palir-a-sa-vue/

 

Dans l’atelier d’un livre, épisode 14 : confidences de lecture (3/3)

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Dosette de lecture n°144 : E-E Schmitt : « L’Enfant de Noé », l’arche de la transmission

Publié le par Eric Bertrand

             Que devient un petit enfant juif que ses parents sont contraints de quitter pendant la période du nazisme ? C’est un couple de personnes âgées qui ont accepté de le recueillir, mais ils ne peuvent le garder auprès d’eux sans courir de grands risques. Commence alors un parcours initiatique qui mène le petit Joseph aux côtés d’un Juste, la figure noble du père Pons. Au sein de la « Maison jaune » - pensionnat catholique - qu’il dirige, il offre un asile à ces enfants égarés et en pleine mutation.
              C’est l’occasion pour eux d’être confrontés à l’altérité mais aussi à l’importance de l’esprit de résistance qui n’opère pas seulement par les armes. Du fond de sa chapelle secrète où il officie, le père Pons se livre à d’étranges rituels qui marquent l’enfant curieux et opiniâtre, éveillent sa conscience et l’amènent à s’interroger sur son identité et sur l’adulte qu’il choisit de devenir.

 

 

Dosette de lecture n°144 : E-E Schmitt : « L’Enfant de Noé », l’arche de la transmission

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« Un parfait inconnu » : des semelles sous le vent de l’harmonica : Dylan-Rimbaud quitte le port…

Publié le par Eric Bertrand

Au tout début du film de James Mangold, Timothée Chalamet qui incarne le jeune Robert Zimmerman apparaît, démarche chaloupée, guitare au côté, « on the dark side of the road » ; il quitte son Minnesota natal et monte à bord d’une voiture qui le prend en stop. C’est un vagabond à la Kérouac, une silhouette rimbaldienne qui tourne le dos à ses Ardennes et se sent appelé par les plus grands, non pas Verlaine ou Hugo, mais Woody Guthrie, Pete Seeger et Johnny Cash. L’œil ardent, impétueux, « rolling stone » et silex qui se frotte aux géants du folk, il brûle de réussir et d’enflammer les foules. Mais il déteste déjà ceux qui sont entrés dans le rang, ceux dont les chansons ont une couleur « d’aquarelles dans un cabinet dentaire » et s’amuse à critiquer les textes « trop travaillés et trop lisses » de Joan Baez.
Comme Rimbaud, Dylan est un capteur ; il écoute les sons, les reproduit à sa façon et n’en fait qu’à sa tête, devient vite « un opéra fabuleux » ; il teste tous les instruments, cherche les stridences, « les lunules électriques » et le vent de son harmonica soufflé à sa lèvre lui arrache les semelles, sème des turbulences parmi les artistes installés. « Il est jeune, tendez-lui la main » « because the times are changing ». Il a « ses éveils maritimes » : « when the ship comes in before the hurricane begins ». Un journal dit de lui qu’il est « un mix entre un enfant de chœur et un beatnick ». Il chante dans les cabarets, proteste contre la religion, l’éducation, la société, la guerre. Dressé aux côtés de Martin Luther King, il s’insurge contre la ségrégation raciale et pose les bonnes questions : « combien d’années doivent exister certains peuples avant qu’il leur soit permis d’être libres ? » Et, à l’heure de la crise des missiles de Cuba, dans une autre « protest song », il rugit contre « les crachats rouges de la mitraille » et « la folie épouvantable » qui s’empare du pays : « combien de fois doivent tonner les canons avant d’être interdits pour toujours…  The answer my friend is blowin in the wind »  
Et puis il regarde les filles, la jolie Joan Baez qui l’écoute chanter dans une sorte de nouveau « Cabaret vert » : « celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ». « Mr Tambourine man » l’embarque dans ses chansons et les courbes de sa guitare. Mais « adios Angelina, le ciel est en feu et je m’en vais… ». « Adieu » : c’est le mot de Rimbaud à la fin de sa « Saison en enfer », et c’est aussi celui de Dylan qui voulait « changer les moralités mais aussi les tonalités ».
Alors « le parfait inconnu aux semelles de vent » tourne casaque, « quitte la ferme de Maggie » et laisse derrière lui « des tas de boue » ; la guitare s’électrise, c’est sa « saison en enfer ». Excité comme « un peau rouge criard » et masqué derrière ses lunettes noires, au Festival de Newport il provoque un public conquis venu écouter du folk et sidéré de recevoir ces pierres que le forcené à la guitare électrique lui lance en pleine face : « How does il feel to be on your own, like a rolling stone ? » Le temps est venu de tout casser, de tout renier et de laisser le bateau « aux clapotements furieux des marées » : « then the tide will sound and the wind will pound. »
https://youtu.be/hzmk9kqBH8o?si=vyi50zgnTSXZSGRq

 

« Un parfait inconnu » : des semelles sous le vent de l’harmonica : Dylan-Rimbaud quitte le port…

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Dans l’atelier d’un livre, épisode 13 : confidences de lecture (2/3)

Publié le par Eric Bertrand

          Comme je l’avais annoncé la semaine dernière, je parcours aujourd’hui et la prochaine fois les différentes expériences de la lecture dont j’ai reçu témoignage.
          Lire offre « un refuge, un cocon, une bulle de liberté et de dépaysement ». Dès que tu t’empares d’un bon livre, tu sais que va commencer « l’évasion » et que, pour cela, tu disposes d’une sorte de tapis magique au format poche qui vaut tous les véhicules, garanti sans mal des transports. Et d’abord, tu savoures un moment de reconnaissance mutuelle : tu « le tiens entre les mains », tu te renfermes avec lui dans une sorte de cercle clos, « au calme et à l’abri des regards ». Tu te laisses aller au plaisir de respirer les pages, de les humer à la façon du chien avisé du bon Rabelais qui inspecte un os avant d’en déguster « la substantifique moelle ». Une lectrice confie : « J'ai un odorat très sensible et un rapport très particulier avec les livres. Par exemple, lorsque je prends un livre à la médiathèque, je regarde s’il est sale sur la tranche, s’il sent le tabac ou la grange, c'est rédhibitoire pour moi. La première chose que je fais c'est de donner un coup de lingette sur la couverture ».  Tu tournes et tu retournes le livre, tu le palpes. « Tu touches le papier, tournes les pages, effleures les lignes de la main ».
           Et ce contact, d’essence éminemment charnelle, finit par affoler ton cerveau : un peu comme Baudelaire au tout début de ses « Fleurs du Mal », tu t’élèves, tu te sens fort car tu sais déjà que le roman écrit le destin des personnages et que, ce destin, tu le tiens au moins à hauteur d’homme. Au fil des pages tu verras tout : l’espace, le temps, l’extérieur, l’intérieur, la vie, la mort… Tu seras aussi amené une fois de plus à réfléchir et à essayer de mieux comprendre « pourquoi, dès le début de l’humanité, l’homme est un prédateur, qui pratique la haine, le racisme et le pouvoir aveugle ». Jusqu’au moment où il faudra « fermer la dernière page avec regret ».
             Alors tu pourras encore relire, ou bien « revenir sur un passage, annoter au crayon papier ce qui t’a touché ou ce qui t’a perturbé ». Au bout du compte, tu auras « rompu ta solitude par ce moment de partage, et d'amour des mots » et tu remercieras peut-être aussi l’auteur pour avoir réussi à te convier « à une découverte de toi-même et à des temps précieux d'écriture. C’est un acte magique, quand on y pense, de pouvoir à ce point se raconter une histoire, simplement en arrangeant de diverses façons les 24 lettres de l'alphabet. Je m'évade et je vis à chaque fois une nouvelle aventure dans l’écrin de ces merveilleuses 24 lettres... au point que l'envie m'est souvent venue de tenter moi aussi un mélange et ainsi de devenir moi-même l'auteure ».
             L’une des trois héroïnes de « Lire ou pâlir à sa vue » aura cet instinct qui montre à quel point il est parfois difficile de se séparer d’un livre quand on y adhère. L’écriture est un moyen magique d’en assimiler un peu la matière et ainsi, de se faire caméléon !

             La semaine prochaine, on continue dans cet examen des retours de lecteurs.

 

 

Dans l’atelier d’un livre, épisode 13 : confidences de lecture (2/3)

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Dosette de lecture n°143 : Michel Moatti, «Darwin, le dernier chapitre », Le poison de la théorie de l’évolution des espèces.

Publié le par Eric Bertrand

            Comment, quand on s’appelle Darwin, qu’on est âgé d’à peine 23 ans et qu’on n’a pas le pied marin peut-on se lancer dans un tour du monde qui va durer près de cinq ans ? La tentation du voyage en passager surnuméraire à bord d’un navire dans lequel ils pourraient occuper un poste spécial continue de fasciner beaucoup d’auteurs. On se souvient du jeune Ismaël dans « Moby Dick », de Joseph Conrad, de Louis Stevenson et de tous ces « écrivains voyageurs » qui embarquent sous la plume leurs rêves et leur imaginaire.
            Quand il quitte le port de Plymouth à bord du Beagle, le jeune Darwin n’est pas connu ; il obéit simplement à une sorte d’aimantation pour ce type d’aventure alors même que rien ne l’y prédispose et qu’il peine à convaincre son père de consentir à lui payer le voyage qu’au demeurant, il ne supporte pas, tant il est, dès les premiers jours, victime du mal de mer. Et puis, il avale difficilement ces mauvais traitements que le capitaine réserve à trois Fidjiens qu’il considère comme des esclaves ; de plus, pour tenir sa ligne de scientifique menant sa mission, il est obligé de subir les moqueries, le scepticisme, de discuter sa théorie au sujet de l’évolution des espèces et d’affronter le terrible révérend du bateau qui lui rappelle sans cesse les règles de la Création et qui refuse obstinément ses idées « d’hérétique ».
            L’énonciation qu’a choisie l’auteur permet d’aborder cette aventure à travers trois points de vue qui se mêlent, chemin faisant et qui permettent au lecteur de s’interroger sur la cause véritable de la dégradation de l’état de santé du héros ; alternent tour à tour le point de vue de Darwin, celui de Moss le cartographe, celui de Parker Moss, le garçon de cabine. Dans des lieux chaque fois différents, envers et contre tous et malgré ses alarmantes défaillances, le futur savant élabore avec opiniâtreté cette théorie si dérangeante selon laquelle « Les ordres et les espèces se superposent et se fondent, comme la pâte de modelage »

 

 

Dosette de lecture n°143 : Michel Moatti, «Darwin, le dernier chapitre », Le poison de la théorie de l’évolution des espèces.

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