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Le premier chapitre de "Lire ou pâlir à sa vue"...

Publié le par Eric Bertrand

Chapitre 1

« Rentrée littéraire de 2050. Décennie de la reconquête de la lecture ».
Cet écriteau lumineux occupe une grande partie de mon champ de vision. Maintenant que je suis sorti du paquet de livres sous lequel j’étouffais, je respire nettement mieux et je peux voir à peu près tout ce qui se passe dans la librairie, distinguer les visages, entendre ce qui se dit et lire entre les lignes.
Il y a encore des piles de livres un peu partout autour de moi et plusieurs zones dédiées à diverses rubriques : voyages, arts, biographies, people-graphie, littérature, philosophie, astrologie, intelligence artificielle… Chacun de ces « ilots » est à la charge d’un vendeur qui gigote dans une veste sans élégance à l’enseigne du magasin et de son avatar assistant qui le suit comme un duplicata. Ma première impression, c’est que le vendeur chargé de mon rayon gère son stand à la façon d’un étal de marchandises et que la matière du livre, sa « substantifique moelle », compte moins que la coquille et le code barre.

Ce matin, le monde afflue, surtout depuis onze heures. Le chef libraire a prévenu ses troupes et le message est répété toutes les cinq minutes dans les haut-parleurs : c’est aujourd’hui le grand lancement de la rentrée littéraire et du début de « la décennie de la lecture. »
Même si les clients semblent à nouveau bien disposés à acheter des livres et, par la même occasion, à me débarrasser de ceux qui m’écrasent et qui prennent toute la place, mon champ de vision est encore obstrué. Je vois passer des ceintures desserrées, des bas de chemisiers fripés, des hauts de jupes tièdes, de shorts, des ceintures à ventre, des nombrils bronzés, munis d’anneaux, des ventres gonflés sous la chemisette tendue ou dépenaillée, des braguettes closes ou défaites. Éternelle présence des corps sous le vernis des artifices et de la technologie.
J’entends des voix chuchotées, comme dans une église. La plupart des clients s’arrêtent et s’emparent d’un exemplaire, se le montrent, échangent deux ou trois mots, le feuillètent et, galvanisés par la voix dans les haut-parleurs, ne le reposent pas dans le rayon ; ils le gardent dans la main, le glissent sous l’aisselle, se dirigent vers la caisse avec un air résolu et avancent le smartphone à paiement automatique. À chaque impulsion, les visages de ceux qui paient défilent à toute vitesse sur les écrans que j’aperçois.
Cette fois, ça va être à mon tour. Le « lecteur » précédent a définitivement tourné le dos et s’est éloigné avec l’ouvrage qui me cachait la vue. Il accélère le pas, il a l’air satisfait, fier de son choix mais il aimerait avoir une caution supplémentaire. C’est un homme âgé, de la génération carte bancaire. Il se plante devant la caisse, brandit son trophée sous l’œil fade de la vendeuse avatar à qui, à tout hasard, il adresse une remarque qu’il juge avisée : « Alors, il parait que c’est un bon livre ? » Et en face, pas de réaction, le sourire crispé et factice du masque d’incitation à l’achat et le son métallique d’une voix : « Bonne journée », qu’il entend aussi à la caisse voisine.

J’étouffais sous une pile d’environ dix exemplaires et ils viennent donc tous d’être vendus ; le libraire n’a pas eu encore le temps de renouveler le stock. Selon toute évidence, le prochain client, c’est pour moi !
Je porte une jolie couverture glacée et un nom d’auteur encore totalement inconnu, mais présenté comme le phénomène de la rentrée ; malgré la crise qui a touché les livres entre les années 2030 et 2045, le nom de mon éditeur rassure et exerce une autorité indiscutable sur les consciences. Il est de notoriété publique que cet éditeur a toujours navigué en première ligne et qu’il s’apprête à lancer tous les tirages qu’on veut, en fonction des prix et des distinctions d’ores et déjà programmées et d’avance acquis à sa cause.
Je suis son poulain, sa coqueluche, sa bête de rentrée, et mes camarades et moi occupons, en rangs serrés, de loin la meilleure place en rayon. C’est le grand retour du livre papier, et ça pèse lourd et ça se voit, ça se soupèse. Les chariots, du côté de l’espace de stockage, sont déjà remplis et le responsable de la marchandise ne va pas tarder à venir réalimenter les stocks car les haut-parleurs ne cessent de le répéter, ça dépote depuis ce matin.
Poussées par la campagne de promo qui accompagne ma parution, les médias m’ont désigné tout de suite comme la « révélation », la « vedette », et à ce titre, j’ai droit à la tête de gondole. Lecteurs, flâneurs, baladins de lagune, soyez attentifs à ce que vous offre aujourd’hui le gondolier. Irrésistible ! C’est comme ça, tant pis pour les autres : après ces mauvaises années de disette littéraire et d’écran tactile, je reviens avec mon poids de papier brut. Et les gens aiment ça, ça les démange même de me soulever, de me palper, de me feuilleter et ça leur rappelle obscurément des choses. J’ai été pensé pour casser la baraque et les autres éditeurs, les marchands du numérique et de la broutille n’ont qu’à bien se tenir.
Sitôt la première page tournée, les mots s’imposent noir sur blanc, l’intrigue vous prend aux tripes, les descriptions des paysages sont nettes, concises et criantes de vérité et de pittoresque, les personnages rayonnent : portraits incisifs, comportements surprenants, discours vifs, modernes et cinglants.

Pas de fausse modestie : je suis un cas à part. Au sommet de la pile de livres où je trône désormais, je ressemble à s’y méprendre à tous ceux qui sont déjà partis. Mais, en dépit des apparences, c’est moi qui suis le chef de bande. Tous ces ouvrages sous moi et en attente dans le chariot portent exactement mon titre, ma couverture et le nom de mon auteur. Mais ils dépendent tous de moi.
Faut le dire tout de suite, mais ça reste entre nous : sous couvert d’anonymat, je suis un prototype unique, un spécimen expérimental, doté d’une sacrée intelligence et, dans les semaines qui viennent, vous verrez que j’ai un rôle essentiel à jouer.
Et ça va bouleverser l’ordre du monde.

 

 

Le premier chapitre de "Lire ou pâlir à sa vue"...

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Dans l’atelier d’un livre, épisode 12 : confidences de lecture (1/3)

Publié le par Eric Bertrand

            Tout au long de ces épisodes, parfois par petites touches, parfois en de plus longs paragraphes, certains lecteurs m’ont livré leurs ressentis face à la lecture et j’y ai déjà fait référence. Mais dans les trois épisodes à venir (celui-ci et les deux prochains), je propose d’aller plus loin dans l’examen de ces indications afin d’interroger plus profondément l’acte de lecture.
             « Quand on ouvre un livre, c’est comme quand on ouvre une fenêtre sur l’imaginaire, on peut être un pirate, un espion, un prince, un lion… » De cette analyse de lectrice dénichée récemment dans un bulletin municipal, je retiens à la fois l’idée de guet et l’idée d’appétit : devant un bel ouvrage de « haute graisse » comme disait le bon Rabelais, le lecteur salive à l’avance. Il sait qu’il va se délecter (« je me régale toujours en relisant un bon Zola ou un bon Maupassant » me confiait souvent ma mère lorsque j’étais ado, cherchant ainsi à réveiller mon goût pour cette littérature qu’elle qualifiait de « vigoureuse ») ; et puisque ma question de la semaine dernière réveillait la métaphore de l’île, j’oserais la filer jusqu’à dire que, face à un livre « en chair et en os », le lecteur n’hésite pas à aiguiser les couteaux et à se faire cannibale afin de mieux assimiler la meilleure part que va lui apporter la viande qu’il mâche. Pour reprendre autrement une pensée chère à Nietzsche, lire, c’est d’abord ruminer ; et puis, à terme, c’est enrichir sa pensée pour être comme l’abeille qui butine et concocte son miel. Pensons aussi à Montaigne qui recommande la compagnie des ouvrages de haut pollen : « Les abeilles pillotent de ça de là les fleurs, mais elles en font le miel qui est tout leur. »
À moins aussi que ne se cache plus subtilement dans la lecture ce que Pascal Quignard appelle « une attente qui ne cherche pas à aboutir. Une errance. »
           Entre ce guet et cette errance, vous avez formulé des réponses que je vais prendre le temps d’éplucher dans les deux épisodes à venir, tout en respectant bien évidemment l’anonymat de leurs auteurs et autrices, hommes et femmes de tous âges et de toutes nationalités.

 

Dans l’atelier d’un livre, épisode 12 : confidences de lecture (1/3)

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« Lire ou pâlir à sa vue » enfin disponible !

Publié le par Eric Bertrand

            Je le mijotais depuis quelques années, et l’aborde en ce moment chaque semaine dans la rubrique « Dans l’atelier du livre ». Il est enfin disponible en précommande chez l’éditeur qui vous l’expédiera avant la publication officielle le 21 février prochain. Toutes les indications sont disponibles sur le lien suivant :

https://www.helloeditions.fr/product/lire-ou-palir-a-sa-vue/

En utilisant le code promo suivant : PALIR5 vous aurez droit à une remise valable jusqu'au 21 février prochain.


            N’hésitez pas, vous trouverez dans ce roman une réflexion sur la lecture, sur le monde d’aujourd’hui et les dangers de l’utilisation de l’intelligence artificielle mais aussi un roman d’amour ; il touche à la fois un public adolescent qui se reconnaitra dans ses trois héroïnes et un public de lecteurs avertis habitués à la fréquentation de romanciers aussi divers que Kundera, Jack London ou Flaubert.

 

« Lire ou pâlir à sa vue » enfin disponible !

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Dosette de lecture n°142 : Jean Echenoz : « 14 », « Foutre le camp » des Ardennes

Publié le par Eric Bertrand

               Comment, après l’ordre de mobilisation, un jeune homme se retrouve-t-il confronté à la réalité de la guerre ? C’est le cas d’Anthime, qui abandonne son vélo et part presque aussitôt pour les Ardennes, sous le commandement d’un gradé qui affirme par exemple que : « Si quelques hommes meurent à la guerre, c’est faute d’hygiène. Car ce ne sont pas les balles qui tuent, c’est la malpropreté qui est fatale et qu’il vous faut combattre. » Il s’en va loin de son village natal en compagnie de quelques autres, dont son frère Guillaume qui laisse derrière lui son épouse
               Sur le mode de la découverte, l’auteur suit cinq hommes sur le front et une femme qui ignore tout de la tuerie. Et la « découverte » s’avère de plus en plus rude et impitoyable au point que chacun n’a plus qu’une envie, « foutre le camp » : « Or, on ne quitte pas la guerre comme ça. La situation est simple, on est coincés : les ennemis devant vous, les rats et les poux avec vous et, derrière vous, les gendarmes. »

 

 

Dosette de lecture n°142 : Jean Echenoz : « 14 », « Foutre le camp » des Ardennes

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Dans l’atelier d’un livre, épisode 11 : retour sur vos « îles désertes »

Publié le par Eric Bertrand

               Comme annoncé, je vous présente les titres des romans choisis par les lecteurs après avoir enfin réussi à trancher car la question était très difficile, j’en conviens. Le livre qui s’imposerait dans une telle situation ne vient pas forcément à l’esprit ; l’une d’entre vous va jusqu’à imaginer un ouvrage idéal, qui comblerait sa nouvelle vie dans cette île utopique et qui répondrait tour à tour à ses attentes et à ses élans. Quel beau compagnon !
                Mais revenons aux livres réels : je me bornerai à énumérer les titres en même temps que la justification que vous m’avez fournie mais sous la forme la plus réduite possible afin de laisser les horizons ouverts.
-    La Bible : mystère et conseils de vie
-    Honoré de Balzac : « Le Lys dans la vallée » : évasion et douceur.
-    Honoré de Balzac : « Eugénie Grandet » : avec un sentiment d’interdit, retrouver en cachette les rêveries d’Eugénie et se cacher du père Grandet avec sa lampe de poche sous la couverture
-    Guy de Maupassant : « Contes » : la condition féminine, la campagne, les mentalités et les petites mesquineries.
-    Alexandre Dumas : « Le Comte de Monte Cristo » : le halètement de l’aventure et l’héroïsme du personnage.
-    Léon Tolstoï : « Anna Karénine » : les tourments d’une femme et un horizon de lecture enfin accessible grâce à des « longues plages » de temps libre !
-    George Orwell : « 1984 » : le miroir sidérant et effrayant de la réalité actuelle.
-    George Orwell : « La Ferme des animaux » : la soif du pouvoir et la réflexion sur les systèmes politiques.
-    Vladimir Nabokov : « Lolita » : la subtilité d’une démarche narrative qui amène le lecteur à considérer de près la figure d’un monstre.
-    Charlotte Brontë : Jane Eyre : l’évolution d’un personnage atypique et le romantisme d’une figure féminine atypique.
-    Thomas Hardy : « Tess d’Uberville » : l’époque victorienne, la condition féminine, l’appel des paysages de la campagne anglaise.
-    Albert Cohen : « Belle du Seigneur » : la difficulté de la relation amoureuse.
-    Yasmina Khadra : « Les Hirondelles de Kaboul » : l’obscurantisme et la situation des femmes.
-    Milan Kundera : « L’insoutenable Légèreté de l’être » : la complexité de la relation amoureuse et la place de l’idéologie dans un contexte politique donné.
-    Michel Tournier : « Vendredi ou la vie sauvage » : le décalage entre la vision de l’homme occidental et celle de l’indigène au contact de la nature.
-    Jean-Christophe Rufin : « Les Flammes de pierre » : la grandeur de la haute montagne et le rejet des artifices.
-    Élisabeth Gilbert : « L’Empreinte de toute chose » : la quête de la botanique qui ouvre aussi à la connaissance de toute chose, même des plus intimes.
-    Romain Gary : « La Promesse de l’aube » : l’amour infini d’une mère et le pouvoir de l’écrivain.
-    René Frégni : « Minuit dans la ville des songes » : la conquête de la liberté par la lecture et l’édification (dans le sable de la plage !) d’un rempart contre la bêtise et la barbarie.
-    Jacques Prévert : « Paroles » : la beauté dans la légèreté.
-    Philippe Delerm : « La Première gorgée de bière et autre plaisirs minuscules » : l’école des plaisirs simples et précieux, le goût des textes courts et faciles à savourer entre deux baignades dans l’île.

          Accueillons avec bonheur ces nouveaux « rescapés » qui arrivent avec nous sur l’île et qui nous ouvrent leur boite à outils. La semaine prochaine, je reviens sur d’autres aspects de ce que vous avez livré au fil de ces semaines. Déjà douze !

 

 

 

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