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Olivier Rolin : Tigre en papier. (Dosette de lecture n°69)

Publié le par Eric Bertrand

Dans ce roman (largement autobiographique) même si le héros s’appelle Martin et non Olivier, le narrateur, installé sur le siège de sa vieille DS modèle 67, remonte le temps (et le périf parisien) en compagnie de la fille de Treize, son ami, avec qui il a vécu les grandes heures de mai 68.

             La présence troublante de cette « Chloé », âgée à peine de 18 ans, perturbe et grise le narrateur au point qu’il tourne toute la nuit sur le périf et qu’il trouve le temps de raconter le passé et de poser sur ces lointaines années un regard caustique, à la fois tendre et implacable.

             Certes, il n’est pas facile de faire comprendre à une étudiante, véritable produit d’une société de consommation forcenée, ce qu’a pu être le rêve de cette génération dont faisait partie son père. Martin a conscience d’avoir vieilli, d’avoir changé... Mais il se souvient de tout... Le Temps, qu’il appelle « le vieux cachalot », lui a fait perdre ses allures « d’ange des révolutions ». Plutôt qu’au Che de sa jeunesse, il est obligé d’admettre qu’il a tendance à ressembler de plus en plus à Daladier, « un type qui a canné devant Hitler ». D’ailleurs, tous ses amis, les « anciens de la Cause », les lions romantiques jadis enflammés qu’il rencontre avec Chloé au « bal des viocs », comme dans les salons de Guermantes à la fin de La Recherche du temps perdu, ne sont plus que les pâles reflets de ce qu’ils ont été.

Maiv68, mémoire

Maiv68, mémoire

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Parution prochaine de "Chambre 69"

Publié le par Eric Bertrand

Vous avez aimé Dévalisée ? Changeons radicalement de monde ! J’ai le plaisir de vous annoncer la parution de mon prochain livre chez Hello Editions. Ce roman, suivi d’une pièce de théâtre explore l’univers complexe et délicat de Serge Gainsbourg et la richesse de toutes ces influences qui nourrissent son œuvre… Il vous raconte en même temps l’histoire saisissante d’un fan qui plonge dans un véritable roman noir… Des personnages extravagants sont ses complices et ils rappelleront au connaisseur quelques silhouettes connues.

Si vous désirez l’obtenir quelques jours avant la date officielle de publication le 4 août 2023, connectez-vous sur le lien suivant : https://www.helloeditions.fr/article/chambre-69/

Avec le code promo chambre5 vous aurez droit à une remise immédiate et vous recevrez le livre à l’adresse que vous souhaitez.

Parution prochaine de "Chambre 69"
Parution prochaine de "Chambre 69"

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Baudelaire et Gainsbourg (Dosette de lecture n°68)

Publié le par Eric Bertrand

Alors que je viens de signer le BAT chez Hello éditions pour une fiction double inspirés de l’univers de Gainsbourg, et dont le titre est Chambre 69 suivi de Le Piano du diable, je propose un retour sur son univers particulièrement marqué par… Baudelaire, avec son Spleen de Paris et ses Fleurs du mal.

             La référence à Baudelaire travaille l’univers de Serge Gainsbourg et notamment les premiers textes (les plus achevés littérairement...) Immédiatement viennent à l’esprit, pour qui connaît un peu l’univers baudelairien, les chansons « Couleur café » ou « Initials BB », dont les musiques et les rythmes soulignent et accentuent la résonance.

             Un jour, au concours de l’Eurovision, on se souvient peut-être aussi de la sensualité d’une certaine Joëlle Ursul, nouvelle mulâtresse, interprète de « White and black blues » écrit par un Gainsbourg Pygmalion. Il y a aussi, dans les premiers albums, une chanson intitulée « Baudelaire » qui reprend « le serpent qui danse ». Tout Baudelaire est dans cette danse des sens, dans cette espèce de disque de la Beauté platine dont le support vinyle était la plus exacte des correspondances.

             On trouve, du reste, le mot fameux mot baudelairien de « correspondances » dans l’une des premières chansons de Gainsbourg : « le Poinçonneur des Lilas ». Le texte explore, à sa façon, l’intimité d’un employé de métro assommé par la tâche « des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous ». Le seul espace de liberté qui lui reste, c’est, « sous son ciel de faïence », de « voir briller les correspondances ». Cette première charge baudelairienne amorce aussi, dans l’œuvre de Gainsbourg, toute la thématique du voyage et du « scenic railway »...

             Dans le contexte déprimant de la réalité quotidienne, le spleen menace de toutes parts. L’Idéal, (le Ciel sous la faïence !), est ailleurs. Au-delà de l’artifice, au-delà de l’Ennui, accessible uniquement par la grâce conjuguée du paradis artificiel et de la sensualité... Il faut réécouter, rien que pour le plaisir, le texte moins connu intitulé « l’alcool ». Le chanteur s’exprime à la place d’un malheureux aux prises avec les tourments de ses illusions. « Mes illusions donnent sur la cour / Des horizons, j’en ai pas lourd / Quand j’ai bossé toute la journée / Il ne me reste plus pour bosser / que les fleurs horribles de ma chambre... ». Notons bien ces « fleurs », pétales sans doute arrachées aux Fleurs du Mal. Le texte construit un double itinéraire : celui de la réalité et celui du rêve. « Dans les troquets du faubourg j’ai des ardoises de rêveries (...) et dans les vapeurs de l’alcool, je vois mes châteaux espagnols ». « La boue » dans laquelle vit son personnage cède soudain la place à « l’or » : « J’oublie ma chambre au fond d’la cour / Le train de banlieue au petit jour » : l’alcoolique « au regard morne, aux mains dégueulasses », change soudain de perspective, s’évade, se métamorphose.

             Dans toute la chanson, le contraste entre les deux vies, les deux silhouettes et les deux horizons reproduit à sa façon les lignes d’un poème en prose du Spleen de Paris intitulé « la Chambre double ». « Une chambre qui ressemble à une rêverie... Sur le lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves » L’unique objectif du poète, allongé dans sa chambre, est également celui d’échapper au sordide et de retrouver le vertige qui le met au contact direct de l’Idéal. « Horreur ! Je me souviens ! Oui, ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui (...) Dans ce monde étroit, mais plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ». Le « fumeur d’opium » qu’est aussi Baudelaire ne se grise aux visions de « la souveraine des rêves, la sylphide », qu’à condition qu’il parvienne à vaincre le Temps et le « hideux vieillard » qui est en lui : « Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve / Donneront à sol lavé comme une grève / Le mystique aliment qui fera leur vigueur ? ».

             Dans ce sens, le personnage de « l’alcool » écrit, à sa façon, Le Poème du haschich. Il est, chez Gainsbourg, cousin de celui qui, dans la chanson « Initials BB », « se morfond dans quelque pub anglais du cœur de Londres ». Par la vertu de « l’eau de Selz », il voit tout à coup émerger au-dessus de son verre, une créature splendide dont les grelots, « les clochettes d’argent de ses poignées », sont liés aux fantasmes baudelairiens des bijoux, de la peau mate et de la senteur. « La très chère était nue et connaissant mon cœur / Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores / Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur / Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures ». La créature du fond du verre a pris les traits de BB en ces années 60 où la star tentatrice du cinéma français donne envie aux créateurs de reparcourir tous les mythes...

             Le « parfum exotique » de « l’essence de Guerlain dans les cheveux » enivre le poète et l’amène jusqu’à la légendaire Alméria : « agitant ses grelots / Elle avança / Et prononça ce mot / Almeria ». Chevelure, parfum, bijoux, mouvement, tous les ingrédients de l’extase baudelairienne sont favorisés par les vapeurs de l’eau de Selz. La retentissante entrée en matière de la porteuse de « médailles d’imperator » favorise le départ vers un port de nature à la fois exotique et érotique : limite extrême où le vice et le calcul guident le regard halluciné du buveur vers l’embouchure du haut des cuisses : « jusques en haut des cuisses elle est bottée, et c’est comme un calice à sa beauté »... La comparaison audacieuse, sacrilège, a le mérite de combiner à la fois les sensations olfactives, gustatives, visuelles, et auditives. C’est dans le calice tendu par cette beauté païenne qu’éclot une véritable « fleur du mal », souveraine et dominatrice, et mettant à genoux ces deux adorateurs de la Beauté éternelle, réunis par la magie de l’Art. « Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur / Ce monde rayonnant de métal et de pierre / Me ravit en extase et j’aime avec fureur / Les choses où le son se mêle à la lumière ».

             Ecouter Gainsbourg, c’est faire vibrer Baudelaire.

Baudelaire et Gainsbourg (Dosette de lecture n°68)

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Dom Juan déboulonné à la Coursive de La Rochelle.Molière : Dom Juan (Dosette de lecture n°67)

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        Comment un don juan se comporte-t-il avec ce qu’il considère comme « le sexe faible » ?

Quel regard porte-t-il sur les femmes et plus généralement sur notre société, son histoire, ses racines ? Telle est la question que pose Molière au lendemain de l’interdiction de son Tartuffe. Pour assurer des revenus à sa troupe, il mise sur « un potentiel succès au box-office » et écrit Dom Juan en reprenant un fameux personnage issu de l’imaginaire espagnol. Mais son Don Juan à lui est d’un genre particulier. Ce qui le motive dans l’opération de séduction qu’il mène, c’est moins la surenchère amoureuse que la provocation et la mise en cause d’une morale, d’une religion et d’une société dans toute sa diversité.

Par sa mise en scène offerte à la Coursive les 7 et 8 juin derniers à La Rochelle, David Bobée du théâtre du Nord met bien en valeur cet aspect-là du personnage. Dans un décor où de grandes statues empiètent sur l’espace, il déboulonne les idoles, casse les représentations, dérange l’ordre du monde et exhibe tous ces vices qui font de lui un être à l’orgueil démesuré et condamné d’avance au châtiment. Sur le plateau, le sablier du Temps coule par le plafond, le sable s’immisce dans « le festin de Pierre » et les rets se tendent autour du héros qui joue insolemment de son pouvoir de parole, de muscle et de sexe.

Par maints moyens, le metteur en scène souligne cette soif de domination qui rend le libertin odieux aux yeux de ceux qu’il juge comme ses inférieurs, et notamment de Sganarelle, serviteur noir, qui confie sa rage à un autre valet de Dona Elvire. Tous deux, Congolais d’origine, ne méritent pas le dédain de leur maître : ils ont une présence esthétique, une voix et des chants vibrants, formulés en langue vernaculaire.

Mais Dom Juan est là pour tout écraser. Il incarne l’homme blanc, le prédateur, le colonisateur prêt à tout pour « comme Alexandre, étendre son empire », jusqu’à des terres éloignées où les habitants vivent dans une autre dimension et parlent une langue inconnue et poétique. Il ne s’agit pas de ce patois ridicule des paysans de l’acte 2, mais du mandarin dans lequel s’expriment deux acteurs chinois. La chorégraphie et la grâce de leur échange fait un instant oublier la violence du conquérant qui veut tout pour lui, quitte à s’anéantir.

Plus besoin, dès lors de spectres ou de commandeur pour le dénouement. Aux yeux du public, à ses propres yeux aussi, Dom Juan est damné. Et sur scène autour de lui, tout se délite et tout se pétrifie dans un monde qui change et qui conteste son pouvoir illusoire.

 

Dom Juan déboulonné à la Coursive de La Rochelle.Molière : Dom Juan (Dosette de lecture n°67)

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Michel Tournier : Vendredi ou les Limbes du Pacifique (Dosette de lecture n°66)

Publié le par Eric Bertrand

          Comment l’homme nu est-il armé pour affronter seul la nature et la solitude ? En s’inspirant de l’aventure vécue par le marin écossais Alexander Selkirk au XVIII° siècle, l’écrivain Daniel Defoe avait répondu à cette question en évoquant le modèle à ses yeux absolu de l’homme occidental, civilisé et capable de tirer profit de l’île déserte.

          Mais, quand Michel Tournier, fidèle élève de l’ethnologue Claude Lévi Strauss, décide de reprendre le récit à sa façon, c’est avec une distance critique et un regard neuf. Tout pétri de civilisation, son Robinson n’en reste pas moins un homme nu face à sa condition, nu et démuni face à cette nature dont, à l’instar de n’importe lequel de ses concitoyens, il s’est éloigné. A moins qu’un « sauvage » ne vienne lui mettre sous les yeux des beautés et des évidences qu’il n’avait jamais observées…

 

Michel Tournier : Vendredi ou les Limbes du Pacifique (Dosette de lecture n°66)

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