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Episode 10 : « Quatre heures du matin »

Publié le par Eric Bertrand

C’est le moment de l’aube. « Quatre heures du matin… ». Surtout pas une heure plus tard, pas cinq heures, quand « Paris s’éveille » ou quand « cinq heures du mat, j’ai des frissons… » On est loin de tout cela… « Quatre heures du matin, c’est l’instant le plus lourd… ». Instant indicible, précieux, « l’une de ces heures pâles de la nuit » que chantait Ferré. Instant fugitif qui jette l’enfant Rimbaud « au bas du bois », et lui ouvre les lèvres de « l’aube d’été ».

    La musique que Julien Clerc a associée à ce délicat poème de Maurice Vallet a quelque chose d’épiphanique. Les premières notes de guitare, la basse en rythme binaire ternaire, puis les trompettes célèbrent un temps en suspension, « quatre heures du matin », referment le rideau de la nuit et entrouvrent la « gaze » du matin. « Les portes sont fermées, les fenêtres sont vides… il va bientôt faire jour, il fait déjà presque froid ».

    Les yeux se ferment sur une nuit de tourmentes, presque baudelairienne, partagée entre des « fenêtres vides » et une « chambre double », témoin de « ma migraine, mon ennui, le début de ma haine et le fond de mon orgie ». « Les bouteilles vides » sont comme « la fiole de laudanum ». Elles sonnent le rappel sournois du « vieux malaise », et refont la place à « l’Horloge » des Fleurs du mal : « elles arrivent, les rides »… Bref, le retour au matin est d’abord lourd, cruel, cynique ! « Hue donc, bourrique, sue donc, esclave ! vis donc, damné ! »

    Et cependant, au seuil de la journée, après la nuit des cauchemars et « des ombres étranges », une silhouette se lève, « les pierreries regardèrent ». De l’autre côté de la nuit, où qu’elle soit, « parmi les clochers et les dômes… Sur les quais de marbre… En haut de la route, près d’un bois de laurier », quelle qu’elle soit, femme complice, déesse chimérique et ensorceleuse, créature d’exotisme ou d’ivresse, porteuse de chevelure marine ou de « bijoux sonores », elle promet une nouvelle dose d’enchantement : « quelque part, là-bas, le soleil d’aube larmoie sur des champs inondés. Je vais bientôt courir et me jeter vers toi, je viens m’anéantir, me sourire dans tes bras »

Julien Clerc; variétés françaises; aube

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Episode 9 : « Avoir quinze ans »

Publié le par Eric Bertrand

L’histoire se passe « dans une ville de province » qui ressemblerait au Charleville, ce Charleville qu’a tant fustigé « l’homme aux semelles de vent ». « De l’Ukraine à la Russie, de l’Alaska à Miami, sur tous les continents surpris », l’ivresse n’a ni port d’attache ni goulot, elle étrangle, elle étreint celui et celle qui y goutent et les « bateaux ivres » sont nombreux à briser le verre de la bouteille… « Plus légers que des  bouchons », à « danser sur les flots »...

    « Enivrez-vous » encourageait Baudelaire, « Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps ». Enivrez-vous, rien que pour le plaisir d’affirmer ses quinze ans ! « La révolte qui grince entre les dents ». Quinze ans, ça pourrait bien être aussi dix-sept ! De toute façon, « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ! Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, on va sous les tilleuls vers de la promenade (…) » « A la musique ! » Et ça swingue, et ça rock’n’roll ! « Les poètes sont des chanteurs de rock et tu te jettes sur leur musique comme sur un bateau ivre ».

    En avant l’aventure ! Tu sens toutes les potentialités qui sommeillent en toi et tu t’éveilles, « la tempête a béni tes éveils maritimes ». « Avoir quinze ans dans une ville de province » ! Et tu écarquilles les yeux, tout te semble dérisoire, « des fils barbelés entre tes rêves et la réalité » ! Tu découvres l’horizon, « ton regard d’outre-mer rivé sur l’infini », cette énergie qui couvait en toi déjà depuis si longtemps, « à sept ans, ce grand désert où luit la Liberté ravie » « comme Rimbaud, tourné vers les déserts, déserts d’Abyssinie ».

    « La révolte qui grince » et tu es prête à tout ! A faire tout péter et tu as des flammes dans les yeux et des éclairs dans la voix, et tu gesticules et tes ongles et tes cheveux jettent des étincelles, « tu voudrais vivre aussi ta saison en enfer ». Tu tapages, tu renverses les normes, tu envoies tout valdinguer, « tu as de tes ancêtres gaulois l’œil bleu blanc, la cervelle étroite et la maladresse dans la lutte. Tu danses le sabbat dans une rouge clairière. Faim, soif, cris, danse, danse, danse » et « danse-s’y », « comme Rimbaud, ton regard d’outre-mer rivé sur l’infini »

Julien Clerc, Rimbaud

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Episode 7 : « Jivaro song »

Publié le par Eric Bertrand

Tout commence par une petite dose d’effroi dans cette chanson.

    « Je t’en prie, jivaro, vide vide mon cerveau, je t’en prie Jivaro, réduis ma tête à zéro ».

    Plongée du côté d’une « Forêt d’émeraude » façon John Boorman pour se détourner du ciné, de la télé et même du LSD ! « Tristes tropiques » de la modernité galopante ! Avec Roda Gil, on a envie de faire marche arrière, de s’ensauvager avec Jean-Jacques Rousseau, Claude Lévi Strauss et Michel Tournier. Et, sans LSD, ça cogne dans ta cage thoracique et dans ton crâne, cette envie d’élargir les limites de tes arcades sourcilières et de tout plaquer.

    Pas très bien dans ta peau aussi. Envie de muter, « comme un bernard l’ermite qui se souvient d’anciens palais », envie de changer de peau… « Cœur coquille vide, pris dans d’opulents lichens mous »…C’est un peu ton tour de passer ta « saison en enfer »… « L’air marin me brulera les poumons, les climats perdus me tanneront. » Quelque chose qui vient du fond du crâne tape et résonne. Arpèges de violon, rythme obsédant du métronome…

    « Que j’échappe enfin aux femmes, à l’alcool et aux tripots, je t’en prie, Jivaro… »

    Partir loin, très loin, « parmi les Indiens bleus, les lianes enchevêtrées », trouver son avatar, sa tête réduite à zéro, mais toujours pensante.

    Il y a en même temps dans la musique de « Jivaro song », dans l’entrainement qu’elle peut donner un soir de concert comme une petite transe cruelle, une transe qui comporte une bonne dose de jubilation et d’autodestruction. « Je vais exploser bientôt, sous le poids de la vie, de ma femme, de mon auto » ! Plus tard, Julien Clerc chantera le « nouveau big bang ». Menace sur tout le répertoire ? « Je t’en prie Jivaro, réduis le texte à zéro ».

    Mais s’il n’y avait plus qu’un mot, ce serait « Jivaro ! »

Julien Clerc, variétés françaises

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Bouteilles à la mer contre les attentats avec Isabelle Autissier

Publié le par Eric Bertrand

C’était dans les heures sombres de novembre l’an dernier, lors des attentats du Bataclan…. Depuis, Isabelle Autissier a tenu son engagement et voici à nouveau nos bouteilles parties dans leur grande aventure !

Retour en arrière…

Minutes de silence et bouteilles à la mer

 

         Au lendemain des attentats, immense douleur, consternation, prostration, révolte sourde qui gronde quelque part au fond de l’être et qui ne demande qu’à éclater…

Dans le lycée, ainsi que dans tout le pays, une minute de silence est prévue en ce lundi matin…Un moment de recueillement, inscrit sur le planning et imposé à tous les personnels et à tous les élèves…

Cette « minute de silence » a duré bien davantage, dès la première heure et tous les jours qui ont suivi. Comment traiter de l’horreur et de la barbarie dans un cours ? Comment faire circuler la parole quand la parole ne vient pas, quand elle est obstruée par l’angoisse, l’incompréhension, les images et les discours des médias ? L’écriture me semblait la forme de réponse la plus adaptée et la plus authentique pour recueillir le vacarme des silences.

Dans le silence des stylos, la mine chiffonnée, l’œil étincelant, les élèves de 1ères S5 et de 1ères ES1 ont rédigé de petits messages dans le secret de leur conscience et de leur cœur. De petits messages pour crier ou essayer de comprendre, pour accompagner les victimes, pour haïr la haine et pour lancer un appel au grand large de leur vie… Une veine de mots palpitants, des mots qui pulsent, des mots qui vibrent. Une veine de lettres saignantes, de lettres écorchées qui redessineraient des lignes  de vie et des lignes d’espoir.

L’idée était de rassembler tous ces témoignages, de les enfermer dans deux bouteilles (une par classe) et de les livrer au flot pour que « la minute de silence dans deux classes du lycée Vieljeux » s’en aille résonner au fil de l’eau et du temps. Qu’elle parte au loin, quelque part, cap vers le vaste monde !

Mais les courants des pertuis ne suffisent pas. Il fallait un bateau, une navigatrice en partance… Et cette navigatrice, ce sera Isabelle Autissier. Isabelle Autissier (voir sa rencontre des élèves l’an dernier au lycée) qui a accepté d’embarquer les bouteilles et de les lancer au large, lors de son prochain voyage prévu cet été vers le Groenland.

Que la mer soulève dans l’écume et la plume de ses flux et reflux cette ancre vagabonde !

 

 

Attentats bataclan; bouteilles à la mer; Isabelle Autissier

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Episode 6. L’amour en chantier

Publié le par Eric Bertrand

Où est passée la maison bleue ? On y était bien, on se retrouvait comme ça, « après des années de route », guitare sur le dos et fleurs dans les cheveux, « peace and love ! », criant, bêlant et proclamant le pouvoir des fleurs.

    « L’amour en chantier ! »… Dans cette chanson, on distingue encore davantage sous la voix, le Julien Clerc aux cheveux bouclés, celui de la Californie, du Caravanier, de la Cavalerie, de Niagara et de Hair. Le timbre a quelque chose de profondément hippie…

    Mélancolie d’un amour perdu, fantaisie des « rues sombres et des chemins boueux », rêveries tortueuses et souffrances délicieuses de la passion, « c’est triste de ne plus être triste sans vous » chantait Brassens… « Je vis en plein été comme au cœur de l’hiver ». Sentiment de gâchis, d’un changement brutal du monde autour de soi, «caterpillar, dans la lingerie fine » dira Souchon. C’est la tristesse d’Olympio, ou la mélancolie de Lamartine, contemplant son lac. « Tu ne retrouverais plus rien ici et maintenant… »

    Mais cette fois, il n’y a même plus l’éternité de la nature pour se consoler ou ressusciter la silhouette de la femme aimée. On est au seuil des années 70, au cœur d’une civilisation galopante. L’amour même est en chantier : « Les fleurs sont coupées… Il y a de grandes routes… La maison reste seule au milieu des géants… Et les chantiers me cernent et disparaît la rue où nous nous sommes connus… Car le bâtiment va… »

    Et quand le bâtiment va, tout va ! Sauf que l’amour ne se mélange pas avec le béton, et qu’il est, la plupart du temps, « en chantier »…

Julien Clerc. Variétés françaises. Période hippie

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