Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

« Le Jeu de l’amour et du hasard » vu par Laurent Laffargue : l’art de la mise en boite (à musique)

Publié le par Eric Bertrand

Plusieurs classes du lycée ont eu le plaisir de découvrir mardi 4 et mercredi 5 novembre à la Coursive la pièce de MARIVAUX : « le Jeu de l’amour et du hasard ».

Un tourniquet au milieu de la scène joue comme l’annonce d’un spectacle étourdissant, celui du « Jeu de l’amour et du hasard » revu et corrigé par le metteur en scène Laurent LAFFARGUE… Or, on ne joue pas avec l’amour, car l’amour tourne les têtes et fait souffrir. C’est sur cette analyse que le dramaturge MARIVAUX a construit l’essentiel de son théâtre et c’est bien aussi sur cet « effet d’étourdissement » que les comédiens particulièrement jeunes de la distribution, ont su jouer et capter l’intérêt du public. Laurent LAFFARGUE insiste d’ailleurs sur ce point : « Marivaux montre des individus en quête de leur vérité qui se cherchent encore et découvrent un sentiment pour eux inconnu, tout à la fois délicieux et effrayant : l’amour. C’est pourquoi j’ai choisi de très jeunes comédiens pour les interpréter ».

L’héroïne, Silvia, est moderne. A ses yeux, la place de l’amour est essentielle dans l’épanouissement personnel et la réalisation d’une femme. Elle refuse les conventions et s’oppose à la spontanée Lisette que l’idée de mariage, même imposé, réjouit. C’est le tout début de la pièce et la servante, décidément très conformiste, soutient que cette union est « délicieuse » et ajoute : « si j’étais à votre place nous verrions ». Sa maitresse, incarnée par la talentueuse Clara PONSOT, marque volontairement un silence après cette réplique : son idée commence en effet à faire son chemin… Pas bête ! Il lui suffirait de prendre la place de Lisette pour mieux « examiner » le futur que lui a choisi son père…Aux yeux de cette idéaliste, un mariage n’est pas un badinage. Par conséquent, place au hasard et au travestissement ! Mais le hasard fait plus ou moins bien les choses : en effet, le futur, Dorante, a eu la même idée que Silvia, ce qui va compliquer la donne. Monsieur Orgon, le père, et Mario, le frère, qui ont été avertis par le père de Dorante, s’en frottent les mains à l’avance : la mise en boite va pouvoir commencer ! Un bon divertissement en perspective, réglé comme du papier à musique… Mais les intermittences du cœur se règlent-elles à la façon d’un métronome ?

La scène se prête remarquablement à ce parti-pris du « plateau boite à musique ». Sur un petit air mécanique, Silvia revêt « les ficelles » du vêtement de Lisette et commence par enchaîner des gestes de pantin : les cercles du plateau se mettent à tourner et permettent au spectateur de voir la maison de Mr Orgon et ses hôtes sous différentes facettes. Un fauteuil, Orgon est occupé à lire son journal, un miroir, Lisette est à sa toilette, des coupes de champagne et une bouteille, on trinque pour fêter l’ heureux événement à venir, une tablette, Mr Orgon (habillé d’un pantalon à damier) joue aux échecs avec son fils et fait avancer les « pions » d’un échiquier de plus en plus cruel…

Arlequin (électrique Julien BARRET) enfile le vêtement du maitre avec une aisance désopilante, s’accomode très vite de la pseudo Silvia, engage sa partenaire, décidément très farce, à cracher par terre pour sceller leur union de fortune. Il apparaît sous les traits d’une espèce de golden boy électrisé par le téléphone portable qui lui permet de s’entretenir avec un « client » en Chine au moment où il arrive sur scène après avoir traversé la salle. Puis il aligne une série de selfies aux côtés de « sa future femme » ou de son « beau-père », heureux d’occuper l’espace qui lui manquait quand il était domestique. Il ne cessera tout au long de la pièce de virevolter, de gambader, de sauter en l’air, véritable cabri excité par les lumières de la rampe et de la promotion.

Si le travestissement excite les convoitises des domestiques, il perturbe les maitres. Sous les regards réjouis d’Orgon et Mario qui risquent souvent un œil indiscret sur la scène, les spectateurs s’amusent comme « à la comédie » au détriment des victimes paralysées sous l’aiguille comme des papillons en plein vol. Le jeu devient cuisant, insupportable pour les protagonistes. Silvia s’inquiète, se lamente en aparté : « j’étouffe », Dorante ne supporte plus le chapeau de « Bourguignon », s’énerve, gifle son ex-domestique qui ne se laisse déjà plus faire et qui réplique du tac au tac. Les coups partent facilement dans cette mise en scène.

A bout de nerf, face à une Silvia pamée et rampant jusqu’au seuil de la scène, il n’a plus d’autre recours que de se démasquer. Aussitôt, la fausse Lisette, très glamour, poupée Barbie toute de rose vêtue, se redresse, remet ses hauts-talons et imagine une ultime épreuve : garder l’habit affriolant de la soubrette, continuer de faire tourner la tête à Dorante, le forcer à demander le mariage et à accepter, de fait, la mésalliance. Totalement sous le charme de sa partenaire et affolé de jalousie contre Mario qui en rajoute à la demande de Silvia, Dorante apparaît comme un maître sans pouvoir, humilié, torturé, capable de tout renier pour pouvoir enfin aimer au grand jour l’adorable soubrette.

Et Silvia jubile ! Elle reprend le jeu en main avec un soulagement immense : « j’avais bien besoin que ce fût là Dorante ! ». Alors le tourniquet et la boite à musique se remettent à tourner, tout s’accélère, un tour complet, « révolution » sur la scène… Le jeu a assez duré pour des domestiques qui gesticulent et s’impatientent, poussés par l’aiguillon du désir et le fantasme de la promotion sociale. Puisqu’il faut jouer franc-jeu, allons-y ! « Le soldat d’antichambre de Monsieur » tombe le masque… Puis c’est le tour de « la coiffeuse de Madame ». Fin du carnaval, Arlequin puis Lisette exhibent à tour de rôle le « fond du sac ». Rien n’est vraiment grave, c’est l’occasion d’une franche rigolade entre domestiques qui peuvent enfin se laisser aller : le marivaudage affecté cède aussitôt la place à l’érotisme débridé, Arlequin et Lisette se précipitant l’un sur l’autre pour une étreinte torride.

Il ne reste plus que le masque délicat de Silvia. Au moment où elle a obtenu la reddition totale de Dorante tombé à genoux, au moment où elle-même s’émerveille et se laisse aller à une ultime rêverie « vous ne changerez jamais ! », elle peut enfin dévoiler son vrai visage de souveraine. Devant l’air abasourdi de Dorante, Orgon éclate de rire dans les bras de sa fille.

Dans un autre angle du décor, fin du cycle, Arlequin adresse l’ultime galanterie à Lisette : « avant notre connaissance, votre dot valait mieux que vous ; à présent, vous valez mieux que votre dot ! » et puis place à la pirouette : « Allons, saute marquis ! » Chacun a retrouvé sa place et le jeu est terminé !

Voir les commentaires

Rimbaud, "le Mal" est toujours là...

Publié le par Eric Bertrand

Rimbaud, "le Mal" est toujours là...

Arthur, souviens-toi…

C'est une plage de sable où chante la mer,
Accrochant follement aux vagues des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit creux qui mousse de rayons.

Un enfant jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais courant bleu,
Dort ; il est étendu dans le flot, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les lichens, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Océan, berce-le chaudement : il a froid.

Les embruns ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous amers au côté droit.

Voir les commentaires

Sur la table du royaume de Danemark, le théâtre du jour joue l’atout chœur

Publié le par Eric Bertrand

« Le temps est sorti de ses gonds », out of joint, et rien ne va plus dans le « royaume du Danemark »… Dans Hamlet de Shakespeare, le personnage principal n’est pas seulement le prince de Danemark, il est aussi spectateur, acteur, metteur en scène… Il tient dans sa main la régie lumière et la régie son de la pièce, et il administre également, et un peu malgré lui, toute la régie philosophique et poétique du grand Will. Vêtu de noir, à la fois tremblant et ricanant, il jette sur le « piège à souris », the mouse-trap dans lequel l’homme se débat, un regard terriblement lucide. Il accompagne le spectateur dans l’escalier d’une méditation sur l’homme, l’amour, le désir, la jalousie, la convoitise, la mort, le pouvoir, la famille, la guerre, la volonté, le rêve, la folie… Et le théâtre, bien évidemment… Et la mise en scène de Pieryck VANNEUVILLE de la Compagnie Pierre DEBAUCHE sert, avec souffle, le pneumatique à réflexion qu’est le théâtre de Shakespeare.

Dès les premières minutes, embarqué à bord de cette grande roue qui tourne inexorablement pendant plus de quatre heures, le spectateur est plongé à la fois dans une intrigue palpitante (pour qui ne connaît pas l’histoire) et dans une aventure intellectuelle et théâtrale. La scène s’ouvre sur un chœur de jeunes comédiennes, à la fois danseuses, actrices et percussionnistes (Joy BERNARD, Nolwenn BERTRAND, Clémence BIENSAN, Adeline CHAIGNE, Elise GHIENNE, Louise GRENIER, Giulia GROSMAN, Valentine REGNAUT, Marion ROY). Souples, prestes, imprévisibles et capables se changer en un temps record, à l’avant-scène ou au fond, derrière une gaze, elles passent, repassent, accompagnent, interviennent, commentent, impriment finalement tout au long de la pièce mouvement, cadence, frisson, émotion… Leur présence apporte quelque chose d’essentiel à la tension dramatique et à la beauté de la tragédie. Par un intense travail du corps et de la voix, le chœur vibre, frissonne, module et contribue à sa façon à la mise en relief du texte et de sa traduction : rythme, poésie, fantaisie, humour, profondeur, à quoi correspondent déploiement des voix, chatoiement des costumes, élégance des coiffures, harmonie des chorégraphies et des chants.

« Le pauvre fantôme » du vieux Roi, « la vieille taupe » qui vient tourmenter les vivants dans leur « piège à souris », n’en donne pas moins le frisson sur les remparts d’Elseneur. En ce 12 juillet dans la cour du collège CHAUMIE d’Agen, la nuit tombe doucement sur la scène investie par la troupe du Théâtre du Jour. Voiles du soir après 21 heures, couleur pâlissante du ciel, fraicheur sournoise de la nuit qui marche, cris aigus des martinets, vombrissements agaçants des moustiques et odeurs enveloppantes d’essence de citronnelle (diffusées par le flacon opportun d’une voisine)… Autant d’éléments improvisés qui contribuent à rajouter un effet véritable effet de réel à l’apparition du spectre. A ce moment précis le chœur affolé souligne l’impression de terreur qui s’empare des gardes pourtant armés de leurs mitraillettes au poing. La silhouette menaçante et le visage hagard du vieil Hamlet (somnambulique Myke ALIAS) sont grandis par les voix et les chorégraphies étranges qui font aussitôt de l’espace scénique un lieu de vertige et d’étourdissement.

La mécanique infernale de la tragédie est d’ores et déjà lancée, sinistre et faussement joyeuse danse macabre où défilent, dérisoires ou tragiques, les « têtes à massacre » de la pièce : tête de « maquereau », (fishmonger) de Polonius, vieux bavard raisonneur et ridicule (malignement interprêté par Robert ANGEBAUD), têtes à claques de Rosencratz et de Guildenstern (courtisans avides, dont les deux comédiens Christophe CAULE et Charlie DUVAL accentuent avec brio la vénalité et la superficialité), tête brulée de l’oncle criminel, Claudius, enfoncé dans la fange et la luxure, se livrant sur scène à des étreintes lascives avec la reine comme avec une courtisane, tête de mort de Yorrick que Hamlet fait revivre (« où sont tes rires, tes fredaines… »), tête fausse et artificieuse de la reine Gertrude occupée seulement à varier ses toilettes et ses parures pour plaire à son « coq » de basse cour, se pavanant languissamment dans sa baignoire devant son fils aliéné (déchainement oedipien astucieusement souligné par le jeu de Marine MANFREDI).

Si Hamlet tergiverse, hésite à céder aux instances surnaturelles, « Remember me ! Remember me ! (paroles fatales répétées par le chœur et qui vibrent, implacables dans le soir devenu sombre), il déclenche néanmoins le mouvement frénétique de la « branloire » infernale chère à Montaigne. Après l’apparition du spectre, Hamlet avait déjà évoqué le « globe déjanté » dans lequel l’homme perdait tout sens de l’orientation… Depuis que la pourriture est affichée, proclamée comme enseigne de tout le royaume, depuis que le ver est définitivement dans le fruit, (le fossoyeur le rappellera à son heure), le monde s’est mis à tournoyer, le monde « marche sur la tête » et ne vaut au fond pas mieux que la tête de mort avec laquelle jouera le fossoyeur (désarmante insouciance de charbonnier affichée joyeusement par Anthony-Paul DRONZIN). Pierrick VANNEUVILLE, qui travaille tout au long de la pièce à découvrir, par son interprétation, toute la complexité du personnage d’Hamlet, fait, à un certain moment, le choix de la désinvolture. Désemparé après sa malheureuse aventure en mer, assis sur une tombe avec Horatio, il rattrape le crâne que lui envoie le fossoyeur comme une balle de hand-ball : ultime facétie du bouffon Yorick ou préambule à une méditation sur la vanité des vanités ? « Fais-la rire avec ça ! »… Fais-nous rire avec ça !

Hamlet est le bouffon, plus sage dans sa folie que n’importe qui. Tout stupide qu’il était, Polonius avait bien remarqué avant sa mort que la démence de Hamlet ne manquait pas de logique ! Hamlet, qui enviait les comédiens, est devenu l’acteur principal et, dans le cimetière, il se met à frisonner. Il frissonne devant la danse macabre qu’il a lui-même ouverte, prenant sa part dans le terrible jeu de massacre dont la victime la plus tendre est la belle Ophélia, (souriante et touchante Noémie COLARDEAU qui incarne une Ophélia bienheureuse et naïve), Ophélia assommée par la folie et finalement portée par le chœur des jeunes filles vêtues de blanc ; massacre de la raison et de l’avenir que Hamlet incarnait lui-même naguère, avant qu’il ne décide définitivement de tourner le dos à sa mémoire, à son équilibre et à son éducation… Massacre du dernier acte enfin, au moment du duel orchestré par un souverain empêtré dans ses fautes (Olivier DUMAS incarne un Claudius rigide et scrupuleusement coupable).

Après la chute libre de ce théâtre des fous au fond de ces sphères métaphysiques, la dernière scène de la pièce laisse entrevoir, par la mise en scène, un retour à l’équilibre de « l’assiette ». Le jeune Fortimbras de Norvège pénètre sur le lieu du massacre où gisent pêle-mêle Hamlet, Laërte (frémissant Dorian LOPES), Gertrude, Claudius. « Horrible ! Horrible ! »… Il demande à ses gardes de redresser Hamlet et de le remettre à hauteur d’homme. Sans chemise, tout dégoulinant du combat qui vient de s’achever dans le vin et dans le sang, pitoyable marionnette désarticulée qui ne tient déjà plus qu’à un fil… A Horatio de tenter de le recoudre pour en tirer l’intrigue ! Et dans le fond du théâtre, le chœur des percussions fait sourdement écho au moment tragique. La nuit est profonde. Il est deux heures trente du matin. Les étoiles sont allumées. Au fond de sa galerie, le vieil Hamlet peut reposer en paix.

Théâtre du Jour. Agen

Théâtre du Jour. Agen

Voir les commentaires

Isabelle Autissier sur le ponton du lycée

Publié le par Eric Bertrand

Isabelle Autissier sur le ponton du lycée

Sur le petit espace scénique de la salle polyvalente, Isabelle Autissier est, face aux quatre classes invitées à la rencontrer, comme sur les planches d’un ponton. Assise sur le bord d’une table, l’œil vif, les manches de pull retroussées, elle parle des alizés, des courants marins, des formes des nuages, des glaciers, des « cônes volcaniques tout verts » des Açores, des eaux limpides bleues, vertes, violettes, parfois noires et des couleurs de la mer qui varient au gré des « humeurs » de l’atmosphère et des coups de gouvernail. Au cœur de l’océan, son bateau est « une boule dans le cosmos ». Elle a des souvenirs de grandes falaises, des souvenirs d’albatros et des souvenirs de tempêtes. D’un compagnon disparu dans le gouffre et dans le noir. Aux confins de l’émerveillement et du « jeu » de la course, il y a toujours les confins du chaos.

Elle les connaît bien, ces contraintes de la navigation et ces cartes maritimes sur lesquelles, dès l’enfance, elle a rêvé avec son père. « Tant que j’aurai des cartes, le monde sera mon jardin » écrit-elle dans ses « Chroniques au long cours ». Véritables livres d’images, romans fabuleux, ces cartes lui ont très tôt, parlé de phares et de balises, de courses en solitaire ou en équipage et de pays merveilleux souvent croisés à trop grande vitesse.

Comme en course, quand elle était « sur la brèche » pendant trois mois, ne s’accordant que des périodes de vingt minutes de sommeil, elle se dit toujours vigilante, accrochée au gouvernail de sa destinée. Ecrivain en quête de fiction et de sensations, elle se compare à « une éponge » qui, même au cœur du mauvais grain, sent lever en elle la moisson de l’écriture, « s’imprègne » de paysages, de gens et d’émotions.

L’existence est une grande carte. « J’ai, grâce aux cartes, compris comment on pouvait naviguer, anticiper dans sa tête bien avant de lever l’ancre ». Dans une autre vie, la navigatrice vagabonde et sans attaches a été ingénieure, a travaillé avec les pêcheurs dans le port de Brest, relevé le défi de courses en solitaire ou celui de courses en équipages. Dans un espace clos, il faut apprendre à tout supporter, les claques des grands vents et les « têtes à claques ». La porte de la salle polyvalente est fermée, mais aucun des élèves embarqués ce matin ne ressent vraiment l’envie de sortir. A bord de ce bateau, le skipper se sent spontanément une âme de conteuse. Elle conte avec passion ses aventures. Elle fait des conférences. Elle écrit des livres et des articles. Dans ses ouvrages, elle invente des histoires et part à la découverte des anciennes populations et de leurs conditions de vie. Pour cela, elle milite aussi en faveur de l’environnement.

Dans ce domaine, il y a urgence. 48% des espèces ont disparu en cinquante ans et le réchauffement climatique n’est pas une légende... C’est là l’une de ses convictions : protéger l’environnement, c’est refuser la dégradation du milieu de vie. Protéger l’environnement, c’est par conséquent protéger les populations, les prémunir contre les dérives de toutes sortes, les défendre contre les inévitables abus de pouvoir. Les crises font toujours le lit des dictatures...

Et discrètement, la Rochelaise d’adoption évoque Xinthia et la perspective d’une grande conférence sur le climat. Tout le monde est concerné, et d’ailleurs, des signes positifs sont depuis quelque temps envoyés par les grands pays industrialisés... La Chine, les Etats-Unis prendraient-ils enfin conscience de la nécessité des décisions ? Le climat, la planète, c’est aussi l’affaire de tout le monde...

La notoriété peut aider dans ce combat et peut aussi aider dans le partage des idées et des émotions. Choix de vie ? Pas de regrets, répond-elle à la question que lui pose une élève à ce sujet... Elle a le sentiment d’avoir tenu la barre. Elle adresse le message aux adolescents qui l’écoutent. L’essentiel est de savoir saisir les opportunités pour essayer d’aller de l’avant dans un monde qui change. Certes, aujourd’hui, on ne peut plus naviguer comme il y a quarante ans... Traverser le Sahel, parcourir le monde, des fleurs dans les cheveux, aller en deux chevaux Citroën jusqu’en Afghanistan, caboter au large des côtes somaliennes... Tout ça, c’était avant !

La course folle est terminée. Désormais, Isabelle veut prendre le temps. S’arrêter sur le rivage, regarder le sable de la plage, aller à la rencontre de ces « autres hommes » qui vivent sous d’autres climats, en Patagonie, en Nouvelle-Zélande, aux Açores. Comme Emilie, personnage de son roman, l’Amant de Patagonie, elle ouvre toujours des yeux émerveillés sur les paysages et sur les Indiens qu’elle rencontre.

Près de la ville d’Ushuaia où est ancré son bateau, elle pense à ce peuple de pêcheurs cueilleurs qui ont vécu là, avant l’arrivée de l’autre civilisation. Ces « bons sauvages » qui savaient vivre autrement mais dont il reste, hélas, si peu de témoignages... C’est de cette réflexion qu’elle a nourri la matière de son livre. « Quel est votre modèle de roman ? » interroge un élève, soudain entrainé dans les méandres de la Littérature. Sans hésiter, Cent ans de solitude, de Garcia Marquez... Cent ans de solitude, un fabuleux roman espagnol où se mêlent à la fois paysages, croyances, légendes, idées, aventure humaine, personnages hauts en couleurs... Quand elle répond, Isabelle a les yeux qui brillent : oui, décidément, c’est comme ça qu’il faudrait écrire, c’est vers cela qu’il faut aller, mettre le cap... Inventer une histoire et lancer « la mécanique des idées », la mécanique et la voilure de l’albatros...

La littérature est un trois-mâts en mouillage dans un grand estuaire. Patagonie, Polynésie, Nouveau-Monde... Combien de marins ont témoigné, eux aussi, de ce qu’ils avaient vu ! C’est ce type de livre qu’elle continue de lire... Isabelle tourne les pages comme elle hisserait de grandes voiles...

Et au terme de ces deux heures, dans l’enceinte du lycée, un équipage d’environ cent-vingt mousses impatients, aux alentours de midi, a bel et bien changé de continent. Le Vieux-Port de La Rochelle n’est, après tout, qu’à un kilomètre de distance...

Voir les commentaires

Marcher derrière Charlie...

Publié le par Eric Bertrand

Marcher, du même pas que les autres, avec le même regard et le même équipage. Se tenir debout, bien droit, sentir ses jambes et ses talons. Tourner le dos, laisser l’ombre s’en aller, regarder vers l’horizon. Marcher... Avoir du vent dans les semelles et des vers dans la tête. S’en aller loin, bien loin, avec Rimbaud. Ecraser la boue de la barbarie, le gravier des fanatismes, marcher dans les Lumières. Marcher avec Montesquieu, avec Voltaire, avec Rousseau : quand on marche, on pactise ! « La marche a quelque chose qui anime et avive les idées : je ne puis presque penser quand je reste en place; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit ». Marcher, sous le feu des pensées et parmi les penseurs. Marcher avec Montaigne, dans l’espace de la « librairie », « mes pensées dorment si je les assis, mon esprit ne va si les jambes ne l’agitent ». Marcher avec Rabelais, Camus, Zola et Victor Hugo. Marcher dans les rayons des livres et les rayons du soleil. Marcher, et ne regarder ni l’or du soir qui tombe, ni les voiles au loin... Marcher avec Arthur vers l’Orient, avec Théodore, dans le désert, marcher avec Kérouac sur le goudron, dans les villes et dans les rues. Marcher la mine grave. Marcher, tirer sur tous les tendons de l’esprit, monter sur la pointe des stylos et sur la mine des crayons. Dessiner dans le ciel la forme des nuages. Ouvrir au beau milieu de la voie lactée, une voix Charlie. Et toutes les étoiles suivent Charlie.

Voir les commentaires