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« Hostiles » à un chêne qui ne rompt pas.

Publié le par Eric Bertrand

 

« Mon corps doit se nourrir de la terre pour repartir » Ce sont les paroles du chef apache Yellow Oak, arrivé au terme de sa vie dans le film « Hostiles ». Il ne reste à ce vieux lion que quelques kilomètres avant d’arriver dans son territoire du Montana. C’est son ennemi juré, militaire en fin de carrière qui se voit contraint par le président des Etats-Unis d’Amérique (à l’autorité contestée) d’accepter la difficile mission de le ramener à l’autre bout du territoire, malgré sa rage et son ressentiment envers le « sauvage », « le peau rouge sanguinaire ».

Le film raconte alors le long cheminement à travers les paysages somptueux et farouches, les lunes et les soleils, les canyons et les forêts. Cheminement qui, à force de feux de camps, de gestes, de regards, mène inexorablement à la redécouverte de l’autre. Car le sachem ne voyage pas seul. Il est accompagné du cercle de ses proches, confrontés eux aussi aux obstacles et aux épreuves du chemin. Rouges et blancs, militaires et sauvages, sont confrontés à la rudesse de la nature, à ce pays sauvage dans lequel l’homme ne peut espérer sauver sa peau qu’à condition de solidarité et de partage.

Mais pas de discours grandiloquent et figé dans la bouche du bon chef indien repenti ! Et pas de mea culpa larmoyant ni de rédemption, bras en croix, de la part du militaire féroce et vindicatif. Au fil du film un double portrait tracé par les autres, un double portrait recomposé par touches subtiles : témoignages, interrogations, conversations, affrontements racontent à leur façon le passé de ces deux guerriers qui ont mené tant de leurs hommes au massacre…

 Yellow Oak est un vieux chêne qui, au crépuscule de sa vie, capte la lumière et la renvoie dispersée autour de lui avant de basculer dans l’autre monde. « Je suis en toi » affirme-t-il à la femme blanche qui souffre à ses côtés. « Je suis en toi, et tu es en moi ». L’amour de l’autre passe lentement le cap de la haine et s’inscrit, par capillarité, dans le sol et se communique aux vivants

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Vidéo du Frein Fantôme sur Mimésis

Publié le par Eric Bertrand

La première représentation de la pièce sur l'espace de la Maison des Etudiants dans le cadre du festival Mimésis. Quelques "trous", mais une belle énergie...

Mimésis; théâtre

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Le frein fantôme sur le festival Mimésis

Publié le par Eric Bertrand

Première représentation de la pièce mardi 20 mars. Demain, une vidéo...

 

Le frein fantôme sur le festival Mimésis

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Bouteilles ivres à la mer

Publié le par Eric Bertrand

C’était un triste lundi de novembre 2015, au lendemain de l’attaque du Bataclan. Consternation, rage, incompréhension, tristesse… On demande à tout le pays « d’observer une minute de silence » en mémoire des victimes. Ce jour là, j’ai en cours deux classes de premières, ES et S. Plutôt que d’essayer de parler ou de faire silence, je leur demande de rédiger un message. Un message de protestation, d’émotion, de silence assourdissant… Puis je récolte les papiers, et les glisse dans les deux bouteilles scellées par un cachet de cire.

En février 2015, avec une autre classe du lycée, j’ai eu la chance de rencontrer l’écrivaine et navigatrice Isabelle AUTISSIER, originaire de la Rochelle. Acceptera-t-elle que je lui confie les bouteilles ? Ça tombe bien, elle part cet été là (juillet 2016) pour une mission au Groenland. Elle les emmènera avec elle. Et un beau jour, par 58° nord, le voyage recommence. On dispose de la vidéo du moment où Isabelle jette la bouteille (tiens, il n’y en a plus qu’une) par-dessus bord. Vogue vers sa destinée…

 

https://www.youtube.com/watch?v=hRNrtmHu_9k

 

Et puis mercredi 7 mars dernier, un courriel arrive au lycée. La bouteille a été retrouvée le 8 juillet 2017 au large d’une île du nord de la Norvège, Senja, précisément ici :

 

https://www.google.no/maps/place/69%C2%B023%2735.0%22N+17%C2%B004%2704.1%22E/@69.393054,17.065622,332m/data=%213m2%211e3%214b1%214m6%213m5%211s0x0:0x0%217e2%218m2%213d69.3930536%214d17.0678155?hl=no

            C’est Tore, étudiant de l’université scientifique (Western Norway University of Applied Sciences) qui a adressé à son tour sa « bouteille à la mer » au lycée Vieljeux. Curieux de connaître l’histoire de cette bouteille et de comprendre les courants qui l’ont menée de La Rochelle jusqu’à son pays, il souhaite en savoir davantage et raconte les circonstances de sa trouvaille : « The bottle was found on the island of Senja. As mentioned in the first email, it was found in a place called Ballesvika in a bay facing the ocean. Me and my family were staying on the beach for a few days last summer, when I decided to find a way up the mountain next to Teistevika. To get there, I had to run over large rocks along the sea line, and I found the bottle partly hidden in between those rocks. As weather can be harsh up there, I was surprised that the waves had not destroyed the bottle”. En même temps que le lien Google Map indiqué ci-dessus, il joint des photos. 

Découvrez les bouteilles dans tous leurs états, de l’origine, sur la plage de l’Houmeau au dénouement, entre les mains du petit Viking blond, fils de Tore, qui faisait l’été dernier avec ses parents une randonnée à Seija et qui rêve devant le goulot de ce bateau ivre, « frêle comme un papillon de mai ».

 

Rimbaud; Norvège; La Rochelle

Rimbaud; Norvège; La Rochelle

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La Coursive, "Etat de siège" : la Peste sous la bâche et derrière les écrans de fumée.

Publié le par Eric Bertrand

Du 31 janvier au 2 février 2018 à la Coursive de La Rochelle, « Etat de siège », pièce d’Albert Camus. Si, comme l’affirme justement Artaud, « le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès », c’est bien à vider les abcès des angoisses du monde moderne que le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota a convié le spectateur. Résonance étrange de ce texte écrit après la seconde guerre mondiale et qui pousse à une réflexion sur toutes les formes de rejets et d’extrémisme.

A première vue, le lecteur de Camus peut se rappeler le beau roman « la Peste » qui offre une subtile réflexion sur la condition humaine en temps de crise (« la peste brune » ou toute autre enflure ou pestilence du pouvoir). Comme à Oran où l’apparition des rats dans les rues adressait une sinistre alerte aux habitants de la paisible ville, dans la pièce, le passage d’une comète dans le ciel tranquille lance un premier avertissement.

Pas d’affolement ! Le gouverneur intervient aussitôt… Rien ne peut nous arriver, rien, l’Etat garantit le citoyen. « Les bons gouvernements sont ceux où il ne se passe rien » affirme le Chœur, faussement serein : « il ne se passe rien et l’abondance de l’été annonce du bonheur à venir ». Ce gouverneur possède la démarche, la gestuelle et même le physique de Kim Jong-Un. Satisfait de la relative docilité, il se frotte les mains et déclare à qui veut l’entendre « Que rien ne bouge, je suis le roi de l’immobilité. » Dans cette mise en scène aux nombreux accents contemporains, les mots et les images font écho à notre modernité. Logique comptable. Dictature. Terre ravagée. Fusils. Purges. Massacres. Irak. Syrie. Cendres sur la Méditerranée… Le pouvoir trouve toujours intérêt à arrondir les angles et à affecter un ordre de façade.

Mais lorsqu’un comédien tombe sur scène, victime de la peste, c’est tout le processus théâtral qui est mis en jeu. Pas d’erreur, le fléau a commencé de faucher les hommes et plus rien ne l’arrête. Mouvement d’autant plus irrésistible que cette Peste-là affiche des ambitions politiques : elle a une voix tonitruante, un habit noir. Elle est incarnée. Bref, le personnage de la Peste est l’allégorie infernale. Sitôt qu’elle arrive sur le théâtre du monde, elle exige le pouvoir absolu et entend régner par la terreur et l’Administration. Répression, menace, asservissement, purges. Exécutions… Et en face, pas le choix : la collaboration ou la contamination et la mort.

Le dispositif scénique accompagne avec efficacité l’impression d’écrasement et de répression systématique. Vaste bâche mouvante sur le plateau central, mannequins jetés dans des trappes comme dans des fosses, redoublement sinistre des images en noir et blanc sur une série d’écrans surplombant le fond de scène…

Les mots également ont une résonance particulière dans cette pièce écrite en 1948.  Les mesures sont simples et radicales. Les hommes ne doivent pas être « dispersés » mais « concentrés ». La Peste se donne le droit de distribuer des étoiles noires et de « déporter ». De changer le « hasard » en « statistiques ». D’exécuter en déchirant une page de l’agenda. La « Secrétaire » gainée de cuir ne porte pas de faulx, mais elle fait ça avec diligence et férocité.

Dans le roman, ils étaient quelques-uns à résister. Dans « Etat de siège », il est tout seul, Diego, « libre dans sa tête, déjà mort peut-être ». On ne peut s’empêcher de penser à la chanson de Johnny… A la différence des autres habitants, Diego n’a pas peur de mourir. Sa seule hantise, c’est de « mourir souillé », derrière les barreaux ou derrière la gaze sombre qui tombe autour de lui et qui l’enferme sur la scène, misérable insecte de l’Araignée. « Voici l’heure de la fierté » lance-t-il avec orgueil. Pas de compromission avec la Peste ! C’est sa force et son contrepoison. Il est « l’homme révolté », celui qui trouve la faille du système et qui fait craquer la Secrétaire. Poussée dans ses retranchements et son hystérie de femme damnée, la venimeuse demoiselle crache son secret : si un homme n’a plus peur, alors la Peste doit reculer. Certes, elle n’est pas vaincue, mais elle s’en va, elle abandonne la place. Elle n’a plus qu’à chercher un autre périmètre sur lequel étendre son empire, une autre terre riche de cette matière humaine, si malléable et si fertile où germent à la fois le vice, la cupidité, le mensonge, la haine de l’autre, le goût du pouvoir et la soif de l’argent. A moins que d’autres Diego ne viennent à leur tour s’opposer à son ironie et à sa stupide et acharnée administration.

Cette sinistre ambiguïté du message, le lecteur la retrouve dans les dernières lignes de « la Peste », au moment où la maladie peut paraître vaincue et où le personnage de Rieux semble avoir cause gagnée :

« Écoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. »

Lugubre et lucide prémonition qui donne froid dans le dos si on pense que Camus a écrit cela en 1947. Eternel retour de la bactérie, agitée et secouée dans le mouvement des drapeaux de tous poils… A moins que des artistes inspirés ne déploient à leur tour la bannière d’une œuvre courageuse et intelligente destinée à résister à sa façon aux forces de la régression. C’est ce que souligne Emmanuel Demarcy-Mota dans sa note d’intention. « L’art peut nous servir à douter ensemble, à mettre en question les certitudes, les conventions, les préjugés, à faire avancer la pensée, la vérité et non pas les ténèbres. Face aux pulsions de mort, à exalter les puissances de vie ». Du côté de la vie, il reste les mouettes qui passent sur l’océan et à l’avant-scène. Les silhouettes qui tournent au lever du rideau. L’acteur qui invite une spectatrice à danser au lever du rideau. Les couples qui s’enlacent. L’air pur et parfumé de l’été. La parole libre et franche qui ne supporte aucun bâillon.

 

La Coursive, "Etat de siège" : la Peste sous la bâche et derrière les écrans de fumée.

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