Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le peintre triste sous les masques

Publié le par Eric Bertrand

A quelques jours du déconfinement, je revois avec mélancolie les peintures de Vinci, Botticelli, Fragonard, Rubens, Vermeer ou autres Renoir… La liste est longue de tous ces peintres qui ont su si bien traquer la beauté et l’émotion derrière un sourire, la palpitation de la chair sous l’énigme d’un regard…« Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau » affirmait le poète Paul Valéry.

Devant les nouveaux pinceaux imposés par les masques, nous sommes désormais comme des peintres tristes, désarmés devant le chevalet de nos relations aux autres. Le geste spontané et franc est, du jour au lendemain, devenu suspect ! Et le peintre est condamné à traquer, sur la fleur de peau, au lieu de l’harmonie des traits, le postillon et la bactérie.

Si le bâillon coupe la parole, le masque entaille le visage.

Sourire confisqué, voix masquée, lèvres alignées, enrégimentées sous les élastiques et les tissus (et quels tissus ? Certains ont des airs de couches culottes !) La chair est devenue triste, hélas, Mallarmé l’aurait répété, lui qui sentait passer « la brise marine ». Sur les trottoirs et dans les transports en commun, rappelons-nous au moins comme Baudelaire, la lumière des phares et les yeux vers les « traitres yeux, brillant à travers leurs larmes ».

 

Peinture; Baudelaire

Peinture; Baudelaire

Voir les commentaires

Boire un whisky écossais

Publié le par Eric Bertrand

Sur la platine du verre, la couleur et la senteur mettent de la musique et de l’ambiance. Ambré dans la transparence de la bouteille, le liquide se dore, s’incline et salive. 

Alors la première gorgée roule dans la gorge vide et l’espace engourdi résonne. Dans la brume acoustique, le palais effleure ses touches de pianos jusqu’à l’ivoire des dents. Les notes fruitées et tourbées lèvent et s’embarquent : Ravel, « une barque sur l’océan », Debussy, « la mer », Mendelssohn, orgues basaltiques … Puis la vague arrive, déferle, inonde « la glotte de Fingal ». L’impression éclate et vibre. Un orchestre lumineux s’ouvre sous la langue : lande, bruyère, tourbe. Cuivres des distilleries, teintes mauves ou blanches, timbres de soleil contre la paroi du verre. Ruissellement de l’eau sur les galets. La flaque de whisky coule dans la trachée, laisse une brûlure chaude et sucrée sur les lèvres. Déjà plus rien au fond du petit verre rond. Rien ?

Sauf un bouquet sous la rosée. Un filet d’eau vive, 
une silhouette enivrée qui voltige, et décolle, et s’envole. 
Elle n’est plus là, elle a laissé sa « part des anges ».

 
Boire un whisky écossais

Voir les commentaires

Les fleurs bleues dans le sable mouillé, hommage à Christophe

Publié le par Eric Bertrand

C’était en pleine période yéyé et on l’imaginait, jeune homme un peu vain, qui avait, avec les filles, un succès fou, qui « se prenait pour Ben Hur en conduisant d’une main », poursuivant le doux visage d’une Aline en bikini. Plages de sables, « dolce vita » et amours grenadines chantés jusqu’à l’été indien.

Mais il est revenu, plus étrange, nimbé de mystère avec ses lunettes fumées bleues, ses bottes blanches et ses airs de dandy. Se décrivant lui-même dans un gilet de satin, ou smoking blanc cassé. « Il est six heures au clocher de l’église, dans le square, les fleurs poétisent ». La plage n’est plus qu’un square, un bassin d’expérimentation des mots et des notes bleues. La voix semble sortie tout droit d’un conte de Théophile Gautier ou d’Edgar Poe.

Décidément, il a plu sur la plage du disque. « Dans sa veste de soie rose, il déambule morose, le crépuscule est grandiose ». Il s’éloigne et revient doucement d’une sorte de paradis perdu qui le hante. La musique est lente, presque funèbre. Elle accompagne et invite la silhouette d’une créature évanescente, peut-être une petite fille du soleil. Celle-là ne laisse pas d’empreintes sur le sable. Mais « dans ce luxe qui s’effondre », il recueille ses mots et la note bleue d’une fleur de clavier mouillée dans l’orage.

Voir les commentaires

Le masque de la tortue rouge

Publié le par Eric Bertrand

Depuis plus d’un mois, nous avons quitté le monde épileptique, l’agitation des flots et des courants contraires et nous nous sommes échoués sur une ile presque déserte que nous partageons avec une petite communauté de proches. Il nous arrive par périodes et sous condition d’attestation de déplacement, de nous embarquer sur un radeau pour essayer une évasion, course à pied, courses de première nécessité… Mais irrémédiablement, au bout d’une heure ou deux, nous sommes rejetés sur l’île.

Ce scénario est un peu celui du beau film d’animation de Michael Dudok de Wit « la Tortue rouge » tourné en 2016. Le film met en scène un naufragé sur une île déserte. Lui aussi, il essaie de s’évader, de se fabriquer des radeaux mais, à chaque tentative d’escapade, et au bout de cinq minutes, il est rejeté au rivage à cause d’une grosse tortue rouge qui bouscule la fragile embarcation et le contraint au confinement.

Dans quel but cette créature mystérieuse agit-elle ?

D’abord, dans le but de le protéger des périls auxquels il s’expose s’il parvient à franchir la ligne de corail. La tortue lui met un masque de fureur rouge et le renvoie systématiquement chez lui. 

Ensuite, dans le but de lui apprendre à redécouvrir son île et son environnement. Le projet est ambitieux. S’il abdique, s’il se résout au confinement, quelles richesses peut-il tirer de l’espace dont il dispose ? Évidemment, notre héros n’habite pas un 80 m2 sans terrasse, et il a, à sa disposition, une île tout entière, avec ses plages, ses eaux turquoise et sa faune paisible. Il peut par ailleurs, sans redouter la contravention, s’allonger sur le rivage, écouter le déroulement des vagues, les cris des goélands, contempler les lumières dans le ciel.

Mais son monde est clos, comme le montre très bien le plan qui superpose l’horizon de l’océan et les parois d’une bouteille en verre trouvée par son fils du naufragé (car, parmi les découvertes que lui réservait l’île, il y a eu celle de l’amour). C’est d’ailleurs le fils qui trouve le temps long et qui aimerait, comme le papa au début, se « déconfiner » et quitter la bulle, partir à bord d’un radeau et affronter le vaste monde.

Lorsqu’on on a survécu à un tsunami, comme c’est le cas du jeune héros qui a sauvé son père de la noyade, on peut espérer refaire le monde et le rendre meilleur parce qu’on a en soi une certaine idée de la beauté et de la solidarité entre les hommes mais aussi une mystérieuse tortue rouge prête à nous guider et à nous faire croire en la force de la métamorphose.

Voir les commentaires

Après le confinement

Publié le par Eric Bertrand

Le soleil d’aube déchire les confins du ciel,

Chants et sifflets s’échappent des becs d’oiseaux,

Et, loin des nids, le concert peut enfin commencer.

 

Le bourgeon sur le cerisier sort du confinement,

Sa fleur délicate offre son micro au temps des cerises.

L’abeille quitte la ruche et s’enivre au gazon de la première fleur.

 

Sa première fleur, c’est une pâquerette qui étale ses gambettes.

Le papillon est un laquais qui a tout oublié de l’ordre du cocon.

Il s’est fait maitre des ballets et postillon des artistes.

 

Dans des verts peignoirs kitch, les grosses mouches crachotent.

Une brise pousse à plus d’un kilomètre les pollens craintifs,

Soulève les mousses, sépare les grains de l’ivraie.

 

Elle envoie sur la première ligne la plume de l’écrivain,

Elle souffle sur la marge la fin du confinement.

Elle offre à l’humanité les pages d’un grand livre blanc.

 

Nature; société; coronavirus

Nature; société; coronavirus

Voir les commentaires