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Autour des mystères d'Ecosse...

Publié le par Eric Bertrand

L'occasion aujourd'hui de revenir sur tout ce qui imprègne mes livres sur l'Ecosse, ruines hantées de souvenirs tragiques, fantômes, lutins, monstres, créatures surnaturelles ou issues de la tradition celtique, décor ossianique et surtout magie des lieux...

Autour des mystères d'Ecosse...

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Dosette de lecture n°91 : Cannibale de Didier Daeninckx Les invités à la fête coloniale

Publié le par Eric Bertrand

               Comment considérer celui qui est différent de nous, qui ne vit et qui ne pense pas comme nous ? La question a agité les penseurs et les réponses données ont souvent abouti aux pires discriminations et à des ravages de toutes sortes chez les indigènes. « Le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie » affirme l’ethnologue Claude Lévi-Strauss. Montaigne, Rousseau, Diderot, Michel Tournier l’ont aussi montré chacun à sa façon et dans ce petit roman, Didier Daeninckx choisit d’interroger un épisode de l’Histoire de la Nouvelle Calédonie.

On est en 1931, Paris organise l’exposition colonialiste universelle. C’est l’occasion de montrer, dans un périmètre parisien bien délimité et « bien administré » l’immensité d’un territoire conquis dans lequel la puissance impérialiste française a imposé ses normes. Sous des prétextes fallacieux, une petite tribu de « cannibales » dont le héros, Gocéné, est amenée vers la capitale.

                Les organisateurs se frottent à l’avance les mains : ils ont tout fait pour « épater la galerie » et montrer du doigt au grand public des spécimens de « sauvages anthropophages » à qui ils ont confié, entre autres missions, celle de se comporter comme des animaux, de se battre, de montrer les dents à travers les cages ou de manger de la viande crue. Les femmes, quant à elles, se contorsionneront seins nus et feront risette aux ventrus civilisés et bien habillés.

              Les rôles sont clairement définis. Sauvages grotesques des tribus arriérées et grands seigneurs riches et bedonnants au sein d’une capitale triomphante et obscène…. Dans le cercle dérisoire de la fête coloniale, officiels et visiteurs s’excitent et chantent les airs de « Nénufar », de « la Tonkinoise » ou de « La fille du bédouin ». Le bon Parisien se tord de rire et montre du doigt les cannibales… Et le lecteur, guidé par le point de vue de Gocéné, le bon Kanak, entame une promenade philosophique dans « le zoo » et la folie parisienne.

Dosette de lecture n°91 : Cannibale de Didier Daeninckx Les invités à la fête coloniale

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Dosette de lecture n°90 : Victor Hugo du haut de son look-out « Le chaos vaincu » ?

Publié le par Eric Bertrand

Comment espérer mettre un terme au chaos ambiant et continuer sous les meilleures auspices ce que le regretté Hubert Reeves appelait : « La grande aventure de l’univers » ? Cette question est hélas d’une tragique actualité quand on pense au fracas du monde depuis le silence interrompu des injonctions du confinement.

Dans le gouffre de son œuvre, Hugo ne cesse de se la poser. Ce qu’il appelle « l’ombre », cette part effrayante de l’Humanité où menace le Mal absolu, il la met en jeu tout au long de ses romans et recueils. Monstruosité, misère féroce, barbarie, néant, nuit… Toute son œuvre à la fois poétique et romanesque peut être appréhendée dans ces mots qui sont aussi des concepts et des symboles aussitôt combattus par les forces de vie et de lumière.

C’est pour cette raison qu’on trouve toujours chez Hugo une figure rayonnante, un héros casqué d’une lampe torche qui part au-devant de la matière brute et qui l’affronte pour finalement en triompher après en avoir montré l’étendue (maléfice profond et irrécupérable de certains « Misérables », monstruosité de la pieuvre-kraken sous la mer, stupidité et égoïsme incommensurable des politiques et souffrance du peuple…)

Dans l’épopée des Travailleurs de la mer, le bateau « la Durande » menace de sombrer dans les « double-fonds de l’abîme » et pourtant, Gilliatt le ramène vers les côtes de Guernesey : il réussit ainsi son « travail de la mer ». Dans Les Contemplations, au terme de sa « marche » vers « le tombeau », le poète parvient à renouer le dialogue tragiquement interrompu avec sa fille Léopoldine et lui offre « Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs » : « Ne dites pas mourir, dites naître ». Quant à Gwynplaine, l’homme qui rit, s’il porte sur le visage la grimace monstrueuse du Mal qu’il a côtoyé toute sa vie, au terme de sa traversée, il ramène lui aussi la lumière : la jeune aveugle Déa retrouve la vue et « le monstre » ne rit plus, il sourit. Son masque d’ombre vient de tomber aussi sèchement que la dépouille de la pieuvre poignardée par Gilliatt... Le « Chaos est vaincu » par « l’éclaircie » (poème 10 du livre 6 des Contemplations). La lumière et l’harmonie reviennent après la tempête.

Mais, du haut de son "look-out", le « mage » de Guernesey continue de nous avertir : malgré son éclat et sa beauté, l’éclaircie est le signe d’un trop éphémère « Chaos vaincu ».

Dosette de lecture n°90 : Victor Hugo du haut de son look-out « Le chaos vaincu » ?

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Sylvain Tesson : Sur les Chemins noirs, Dosette de lecture n°89 : Echapper au dispositif

Publié le par Eric Bertrand

Comment se reconstruire lorsqu’on a vécu un traumatisme, qu’il soit psychologique ou physique ? Cette interrogation a inspiré beaucoup d’écrivains qui, par le biais d’un livre, s’adressent à leurs « frères humains » toujours avides de solutions face à la difficulté de vivre.

          Sylvain Tesson est un écrivain voyageur, amateur d’exploits de toutes sortes, capable d’escalader des façades d’immeubles ou des pitons rocheux, de s’isoler des mois dans une cabane au bord du lac Baïkal ou de guetter pendant plusieurs jours sur les montagnes du Tibet l’apparition de la panthère des neiges. Pourtant, cette fois-ci, prisonnier d’un lit d’hôpital suite à une mauvaise chute, et dans le but de se remettre en forme, il se lance le défi de traverser la France à pied, du Sud au nord en n’empruntant que « les chemins noirs », les voies anciennes, à l’écart des grandes routes et des balises du monde moderne, « là, où personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre ».

          Mais en même temps que ce défi de tirer sa carcasse abimée, estropiée,  cabossée par les monts et les vaux, il s’agit aussi pour lui de s’extraire, en clopinant, de ce qu’il appelle « le dispositif » qui « remodèle la psyché humaine, s’en prend aux comportements, régentent la langue, injectent des bétabloquants dans la pensée ». Et le lecteur assiste à cette longue marche qui l’amène à regarder autrement, à méditer, à sentir et à redonner du sens à ce qu’il a perdu l’habitude de voir. Aussi ce chemin noir est aussi un long chemin vers la clarté.

         

Sylvain Tesson : Sur les Chemins noirs, Dosette de lecture n°89 : Echapper au dispositif

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« J’écris ton nom… » : Après Samuel Paty, hommage à Dominique Bernard

Publié le par Eric Bertrand

C’était il y a trois ans, et ça recommence sans qu’on en change presque une virgule…

« C’est un matin banal dans un établissement sans histoire.

C’est l’aube. Le soleil à peine levé te donne des envies de campagne. Tu franchis le portail en fer. Il te reste une partie importante du programme à boucler avant le début des vacances, des graines à semer dans ces esprits juvéniles et fertiles capables derrière toi de retourner la terre en cinq minutes ou de la disperser et de se la jeter au visage... Ton métier est un labour et tu descends souvent du tracteur pour les remettre dans le bon sillon…

Tu enfiles le masque, tu plaisantes avec les collègues. Quel que soit le champ disciplinaire, ils ont eux aussi déjà retroussé les manches. Tu entres en salle, les élèves sont installés. Ils ont eux aussi enfilé les masques un peu narquois « d’apprenants ». Ils ont les yeux fatigués, mais les langues déjà déliées. Ils ouvrent les cahiers. Sous ta dictée, ils ont écrit de belles choses. Tu leur demandes de les relire pendant que tu fais l’appel.

« Deux d’entre vous vont prendre la parole devant la classe. Je vous rappelle la consigne : reformulez avec des mots à vous la notion de « Liberté d’expression » en vous appuyant sur le poème de Paul Éluard lu hier, à la fin du cours ».

Une fille un peu timide commence. Le regard en-dessous, elle avoue que sa mère l’a aidée. Elle craint le reproche du professeur, le regard des autres. L’anxiété fait vibrer sa voix : « Sur les murs gris du collège, sur les trottoirs menaçants de la rue, sur l’écorchure cicatrisée de la Haine, sur le ballon crevé de la Bêtise, j’écris ton nom : LIBERTÉ ». La classe applaudit. C’est le rituel. Et tu la félicites. Tu lui promets même de relire toi-même les mots qu’elle a choisis.

Tu interroges un garçon qui lève le doigt. Ses mains tremblent. « Monsieur, j’ai fait le travail et j’en ai parlé à table avec mes parents. C’était super : pour une fois, mon père n’a pas allumé la télé pendant tout le repas. » Deux lascars rigolent bêtement. Il les fusille du regard, se lève, demande s’il peut venir au tableau. Tu salues son panache et lui laisses le champ libre. Tu t’effaces. Tu vas t’asseoir à sa place pour mieux l’écouter. Tu prends des notes sur ta feuille.

Il est là, debout, dégingandé, main toujours nerveuse dans la poche. Il se dandine d’une jambe sur l’autre face à ce silence inattendu, silence miraculeux dans une classe où, en général, ça bouge… Il lance son titre. « Libre expression poétique ». Répète, comme s’il voulait le donner à mâcher aux petits fauves du fond de la salle : « Libre expression poétique ». Sa voix tremble un peu. Il lève les yeux de son cahier. Tergiverse. À la première table, il y a la petite nouvelle dont il est amoureux et qui guette avec de l’impatience et des yeux de biche ce lion qui sort du bois. Il connaît le texte par cœur. « Monsieur, je peux poser mon cahier… Mon poème, je m’en souviendrai toute ma vie »… Il respire profondément. La voix monte, forte et belle.

« Sur le poignard hideux de l’assassin, sur sa rage et sa férocité, j’écris ton nom… Sur le grand Livre des religions, sur les portraits de ceux que j’aime ou que je n’aime pas, sur tous les dessins et toutes les caricatures, sur les valeurs auxquelles je crois, sur la parole du professeur, j’écris ton nom, LIBERTÉ  D’EXPRESSION »

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