Bateaux ivres au Vendée Globe
J’ai pris en pleine figure hier soir, en quittant la maison, une première vague d’émotion ; j’ai laissé derrière moi, mes enfants « accroupis, pleins de tristesse, lâchant » dans la baignoire où ils ont coutume de s’amuser « un bateau frêle comme un papillon de mai ». Me voilà à présent qui marche aux Sables d’Olonne, après une nuit d’ivresse arrosée au « wasserfall blond ». C’est un peu avant l’aube, pas vraiment celle d’été !
J’avance doucement vers mon bateau, et « les camps d’ombre ne quittent pas la route ». Dans « les haleines vives et tièdes », je sais déjà que je vais « lever une à une les voiles. » Du « sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, » j’entends un peu de « la clameur » de tous les « Peaux-Rouges criards » massés autour des pontons… Les journalistes et le public « échevelés agitent les bras et courent comme des mendiants sur les quais » du rêve de liberté et de pleine mer.
Moi, « dans les clapotements furieux des marées », j’attends « l’aube exaltée, l’éveil maritime, le poème de la mer, les ardents entonnoirs, infusés d’astres, l’azur vert, les bleuités, le soleil d’argent, les flots nacreux, le rutilement du jour, les houles et les ressacs et les gouffres cataractant. » Mais je crains qu’avant mon retour, « ma quille n’éclate », que je n’aie plus de phrases, plus de gorge, ni de langue, ni de muscles pour parler du grand océan.
Face à cet immense horizon ouvert, j’ai l’air impassible et je ne trouve, devant les micros, les « millions d’oiseaux d’or » qui brillent dans les yeux des badauds, que des formules apprises, qu’un pot au noir de mots creux, parce que la perspective de l’aventure en mer « disperse à l’avance gouvernails et grappins », parce que je suis à mon tour, sans le savoir vraiment, un « bateau ivre » comme celui de Rimbaud qui, sans avoir pourtant couru le Vendée Globe ni même avoir jamais vu la mer « pressentait déjà la voile ».