Plutôt qu’une plongée dans les sphères des établissements scolaires, hypothèse que j’avais, au préalable, retenue pour évoquer la problématique de la lecture (la critique de l’institution est cependant présente dans mon livre) j’ai préféré une nouvelle fois m’évader et « sortir des murs des écoles, collèges et lycées » afin de revenir à la réalité plus générale de la lecture. Le seul de mes livres qui renvoie d’ailleurs à l’univers de l’école, c’est « L’Organisme » (Aléas, 2010) dont la trame se déroule au sein d’un collège et dont le héros est un adolescent en souffrance.
Que recherche-t-on au juste quand on se saisit d’un livre ? La réponse est vaste et diffère d’un individu à l’autre. Je vous suggère d’écouter ce riche point de vue décliné avec facétie par l’écrivaine Suzie Morgenstern mercredi dernier dans l’émission de « la Grande Librairie » consacrée justement au sujet qui nous préoccupe en ce moment ! https://www.youtube.com/watch?v=66ksDjw-gU4
Dans mon roman, cette question des enjeux tient une grande place car je mets en scène plusieurs types de lecteurs dont la position vis-à-vis du livre est radicalement différente, ne serait-ce que du fait, d’abord, de leur différence d’âge. Mon but n’a pas été de faire une sorte d’hymne béat en faveur de la lecture mais de confronter au contraire les points de vue.
L’un des aspects que j’ai voulu mettre en avant, en même temps que l’aspect intellectuel et indépendant du livre, c’est la place quasi charnelle qu’il occupe pour certains. La relation qu’établit avec son livre l’un de mes personnages principaux, la lycéenne Manon, est de cette nature. Mais elle n’est pas la seule dans le roman tant il est vrai que le livre, quand il nous « tient », nous suit un peu partout, parvient à occuper nos esprits, à se glisser dans nos pensées comme un partenaire obsessionnel. Il a sa « chair de papier », son « sui generis » et nous sommes nombreux à le palper, à en respirer le papier avant de l’ouvrir et de lui imposer les caprices de nos organismes, et ce quels que soient le moment et le lieu.
Ce sera le sujet du prochain épisode.
Et si le monde de 2052 ressemblait au nôtre à s’y méprendre ? Le romancier Barjavel est un de ces auteurs de science-fiction foncièrement pessimistes sur le sujet de la nature humaine. Lorsque son roman commence, le bien nommé François Deschamps (François le Champi aurait écrit George Sand !) vient de quitter sa Provence natale où il cultivait encore la terre et il arrive dans la capitale qui déroule sous ses yeux un tapis d’artifices.
Très vite, le lecteur qui adopte le point de vue du jeune rustique et aussi celui de Barjavel (qui par maints aspects rappelle Giono) observe les comportements des Parisiens, dépourvus d’humanité et d’énergie physique. La nourriture qu’ils avalent est devenue entièrement chimique ; les automates remplacent la main d’œuvre, la nature a disparu et les sentiments eux-mêmes sont pollués par l’affairisme et la fébrilité. Quelle part de potentielle réussite reste-t-il à François, ce malheureux « paysan du Danube » qui est amoureux d’une jeune femme trop séduisante et qui prétend obtenir un diplôme important par le seul mérite de son intelligence et de sa persévérance au travail ?
Dans ce contexte inquiétant, la géopolitique joue aussi un rôle important qui en dit long sur la pensée de Barjavel en matière de Progrès. Lorsque, le soir venu, François allume l’écran télé, il tombe sur la tragique annonce que fait un belliqueux empereur couvert d’or et de diamants : pour punir le bloc occidental, il a ordonné d’envoyer une flopée de missiles ; et, bien évidemment, les nations agressées s’empressent de répliquer …
Face à cette déroute de la science et de l’humanité, comment assurer l’avenir et le bonheur des générations à venir ? En 1952, René Barjavel posait déjà la question.
Quand on écrit des pièces pour des ados, des pièces destinées à être jouées en fin d’année devant des classes de lycée, il y a intérêt que ça bouge et que ça explose sur la scène, et avec Gainsbourg, il y a justement matière à explosion ! Drogue, « casser la gueule aux dealeurs », alcool, « je bois à trop forte dose » et « le dieu des ivrognes guide mes pas », passion, « je sens mon rythme cardiaque qui passe brusquement à mac 2, tic tac, tic tac… », conflits et violence : « ils disent que nous tuons de sang-froid… » et bien d’autres choses encore.
La chanson de « Bonnie and Clyde » m’a donné l’idée du scénario. Le personnage principal, un fan du genre Humbert Humbert et qui se fait appeler Clyde, tombe amoureux d’une Lolita qu’il appelle « Bonnie », strip-teaseuse au Kangourou Club. Dans le but de la séduire, il entraine dans la grande délinquance sa bande de « déménageurs de piano », eux aussi sous le charme des autres filles du club.
Les copines de cette « Bonnie » aiment « les grosses bagnoles, les Harley Davidson et les Ford Mustangs ». Elles se laissent d’abord griser par l’argent facile et les courtoisies des « vieilles canailles », mais la tension monte vite entre les deux clans sitôt que les belles s’aperçoivent que leur « princes charmants » ne sont que des Pieds Nickelés, « des minables, des ploucs, d’abominables boucs » …
Dans cette guerre intestine, la mise en scène joue un rôle capital, on en parle la semaine prochaine.
En tant que professeur de français en exercice dans l’un des nombreux établissements scolaires touchés par l’opération, j’ai eu l’occasion d’observer de près la mise en place du fameux « quart d’heure de lecture » dont le principe consistait pour l’équipe de direction, à définir une fois par mois un moment de lecture obligée pour tous les élèves et membres de la communauté scolaire.
Ce dispositif secoue les habitudes et oblige les plus récalcitrants à « sortir un livre » et à s’y concentrer pendant la durée impartie. Il faut jouer le jeu et mettre un minimum de bonne volonté malgré la contrainte que représente ce temps de lecture imposée. Et d’abord, venir avec un livre… Mais lequel ? « Titeuf » ou « La Princesse de Clèves » (au programme du bac de français cette année-là) ? On le voit tout de suite, quand on est en salle, embarqué avec ce joyeux équipage « d’hypocrites lecteurs », sortir un livre, c’est choisir une enseigne ! Le livre dit quelque chose de nous, il dit aussi quelque chose des élèves.
Mon roman met en scène des lycéens. Au début de la rédaction, j’ai consacré à l’observation et à l’analyse du quart d’heure de lecture un nombre trop important de pages au point qu’il a fini par m’égarer. J’ai donc éliminé 80 pages car, au moment des relectures, je me suis rendu compte qu’elles ne convenaient plus à la logique narrative et je les ai jetées à la corbeille. Ce que j’ai gardé, c’est la façon dont lisent les jeunes et ce que la lecture leur procure. Et à travers eux, ce que la lecture suscite en nous. C’est le sujet de l’épisode 3.
Comment une jeune femme à qui la première mobilisation de la guerre de 14 a arraché son mari parvient-elle à diriger son existence à la ferme, malgré les nombreuses sollicitations et menaces qui l’environnent ?
Jacques Berlioz-Curlet s’intéresse particulièrement au sort de cette Marie-Louise isolée et courageuse qui porte aussi en elle la voix des femmes du début du XX° siècle. Sans parler de son aspect historique et très humain, j’ai une affection particulière pour ce roman qui plonge le lecteur dans la région du Dauphiné que je connais bien. J’y ai vécu de nombreuses années depuis mon adolescence et jusqu’à l’âge adulte : l’évocation fidèle de la petite ville de St Jean de Bournay, de celle de la Côte St André, ou des villages comme Lieudieu et St Georges d’Espéranche permet de fixer le cadre de cette histoire dans l’atmosphère rude d’une région encore très rurale située à une quarantaine de kilomètres de Lyon…
La campagne, les bêtes, les gens, tout me parle du pays, jusqu’au nom des personnages qui sont ceux du cru. Jacques Berlioz-Curlet connaît bien la région lui aussi et sa plume d’historien s’attache à observer avec lucidité les relations entre les fermiers de l’époque, à écouter les commérages, à traduire les craintes liées à la progression de la Grande Guerre. Mais il prend aussi en compte le rôle de la nature qui impose son propre rythme aux affaires humaines.
Au-delà du charme régionaliste, l’évocation des moissons, des vendanges, des troupeaux qui rentrent d’estives sont autant de traits qui donnent au récit une dimension universelle et, hélas, dans le fracas des guerres d’aujourd’hui, intemporelle. La ferme et son proche environnement importent avant tout pour Marie-Louise qui attend son André parti dès le mois d’août 14. À son échelle, cette ferme lui assure une forme de résistance et Marie-Louise se bat pour son lopin et pour ses bêtes. Elle est forte et tenace mais en même temps, dans sa chair de jeune femme, il lui est de plus en plus difficile de supporter la solitude et de refouler les frissons qui s’emparent d’elle à certains moments.
Pour cette raison ce roman rustique et historique est aussi un beau roman d’amour où l’auteur ausculte, en même temps que les spasmes de la guerre, les soubresauts de la passion.
Littérature, écriture et voyage. Comment la lecture et le voyage nourrissent-ils la pensée et suscitent-ils, en même temps que le plaisir, la curiosité, l'écriture ?
Lien vers l'ensemble de mes livres :
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