Dosette de lecture n°128 : François Mauriac : Génitrix : Les forces de chaux et de sable
Quel effet le sol et le milieu peuvent-ils exercer sur les personnages des romans de Mauriac ? « Toi, bâti à chaux et à sable » ironise la vieille Cazenaze à propos de l’état de santé de son quinquagénaire de fils qu’elle évalue du haut de son autorité de « génitrice ».
On s’étiole et on ne bouge pas chez ce romancier. Les forces centripètes régissent l’univers des bastides au creux desquelles déclinent les vieilles familles bourgeoises, enferrées dans leurs principes et leurs certitudes. C’est la raison pour laquelle la rumeur, la terre, les pulsions qui ne sortent pas de leurs gonds tiennent une place si grande dans ces romans écrits pour la plupart dans l’une de ces propriétés des Landes ou du Bordelais qu’a habitées l’écrivain.
D’après son propre témoignage, il sentait sur sa table la vibration des trains qui passaient dans la vallée. « Autour du drame interrompu, les grands arbres : tulipiers, peupliers carolins, platanes, chênes, agitaient leur feuillage pluvieux sous le ciel amolli. Rien n’est moins accessible aux regards, ni plus propice au mystère que ces domaines ceints de murs et enserrés si étroitement d’arbres qu’il semble que les êtres qui vivent là n’aient aucune autre communication qu’entre eux ou avec le ciel »
Cette réalité décrite vaut aussi comme métaphore de tout le roman.
Au début de Génitrix la femme de Fernand est délaissée dans la chambre où elle vient de faire une fausse couche et elle regarde « un verre d’eau vert à filet d’or que la manœuvre d’une locomotive fit vibrer car la gare était voisine ». Mathilde n’est pas la belle-fille souhaitée, elle a ordre de se tenir à l’écart. Le silence doit régner dans ces maisons où la sieste est sacrée. Pas un bruit ne vient troubler les dormeurs comme dans la demeure du Baiser au lépreux, autre roman de Mauriac où le père impose aussi un silence rituel.
Mathilde est une « intruse » dans le huis-clos des propriétés. Quand il l’a connue, le fils est allé la guetter, la petite institutrice, cousine de la famille Lachassaigne : dans le parc des Lachassaigne situé à côté de celui des Cazenaze, il était attiré par cette fille qui arrivait de l’extérieur pour donner ses cours à une « enfant étique et demeurée ». Elle venait d’une maison basse de Bordeaux, « ce qui à Bordeaux s’appelle une échoppe » et, « accoutumée à cette gloutonnerie du regard, à cette attention goulue des hommes », elle a vite remarqué le manège de Fernand Cazenaze qui l’épiait à travers la haie et qui fumait là, en cachette de sa mère.
Mais, comme « le soleil maternel » n’était pas à ses côtés, comment le fils, « terre désorbitée » pouvait-il bien « tourner dans le vide » ?