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Dosette de lecture n°128 : François Mauriac : Génitrix : Les forces de chaux et de sable

Publié le par Eric Bertrand

Quel effet le sol et le milieu peuvent-ils exercer sur les personnages des romans de Mauriac ? « Toi, bâti à chaux et à sable » ironise la vieille Cazenaze à propos de l’état de santé de son quinquagénaire de fils qu’elle évalue du haut de son autorité de « génitrice ».

             On s’étiole et on ne bouge pas chez ce romancier. Les forces centripètes régissent l’univers des bastides au creux desquelles déclinent les vieilles familles bourgeoises, enferrées dans leurs principes et leurs certitudes. C’est la raison pour laquelle la rumeur, la terre, les pulsions qui ne sortent pas de leurs gonds tiennent une place si grande dans ces romans écrits pour la plupart dans l’une de ces propriétés des Landes ou du Bordelais qu’a habitées l’écrivain.

             D’après son propre témoignage, il sentait sur sa table la vibration des trains qui passaient dans la vallée. « Autour du drame interrompu, les grands arbres : tulipiers, peupliers carolins, platanes, chênes, agitaient leur feuillage pluvieux sous le ciel amolli. Rien n’est moins accessible aux regards, ni plus propice au mystère que ces domaines ceints de murs et enserrés si étroitement d’arbres qu’il semble que les êtres qui vivent là n’aient aucune autre communication qu’entre eux ou avec le ciel »

             Cette réalité décrite vaut aussi comme métaphore de tout le roman.

             Au début de Génitrix la femme de Fernand est délaissée dans la chambre où elle vient de faire une fausse couche et elle regarde « un verre d’eau vert à filet d’or que la manœuvre d’une locomotive fit vibrer car la gare était voisine ». Mathilde n’est pas la belle-fille souhaitée, elle a ordre de se tenir à l’écart. Le silence doit régner dans ces maisons où la sieste est sacrée. Pas un bruit ne vient troubler les dormeurs comme dans la demeure du Baiser au lépreux, autre roman de Mauriac où le père impose aussi un silence rituel.

             Mathilde est une « intruse » dans le huis-clos des propriétés. Quand il l’a connue, le fils est allé la guetter, la petite institutrice, cousine de la famille Lachassaigne : dans le parc des Lachassaigne situé à côté de celui des Cazenaze, il était attiré par cette fille qui arrivait de l’extérieur pour donner ses cours à une « enfant étique et demeurée ». Elle venait d’une maison basse de Bordeaux, « ce qui à Bordeaux s’appelle une échoppe » et, « accoutumée à cette gloutonnerie du regard, à cette attention goulue des hommes », elle a vite remarqué le manège de Fernand Cazenaze qui l’épiait à travers la haie et qui fumait là, en cachette de sa mère.

             Mais, comme « le soleil maternel » n’était pas à ses côtés, comment le fils, « terre désorbitée » pouvait-il bien « tourner dans le vide » ?

Dosette de lecture n°128 : François Mauriac : Génitrix :  Les forces de chaux et de sable

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Dosette de lecture n°127 : Barbey d’Aurevilly : « Un Prêtre marié ». L’extase frénétique.

Publié le par Eric Bertrand

Quel charme extravagant une jeune fille diaphane, issue d’un prêtre défroqué à la réputation satanique peut-elle exercer sur le fils d’un aristocrate resté fidèle à ses ancêtres et à leur conviction religieuse ? Le prêtre s’appelle Sombreval ; sans rien révéler de son hérésie, il a, dans son jeune âge, pratiqué la chimie et les sciences occultes avec un associé dont il a séduit la fille.

Quand elle apprend l’identité sulfureuse de son mari, cette dernière, mystique exaltée qui a lui donné comme enfant la belle et énigmatique Callixte, ne survit pas. Dans une lointaine contrée au fond de ce Cotentin sauvage si cher à Barbey, Sombreval se retire dans un grand manoir près de l’étang fantomatique du Quesnay. Il y élève seule cette fille qu’il vénère et qui vit retranchée, affaiblie par la maladie et exaltée à la fois par Dieu et par l’amour du fougueux Néel de Rotrou, lui-même ensorcelé par le pouvoir étrange et maudit de la jeune femme. Dès le début, le lecteur s’attend au pire lorsqu’il entend les prédictions de la Malgaigne, vieille magicienne capable de voir dans l’avenir.

Comme un symbole supplémentaire des forces occultes qui la mènent, Callixte porte sur son front une marque de sang qui dessine une croix et qui marque aussi, dans sa chair, la volonté frénétique de la repentance afin de racheter la faute de son père et de s’unir à Dieu. Mais la dévotion et le mysticisme offrent-ils la seule voie pour retrouver la paix ? Il semble bien que le prêtre marié ait trouvé la réponse à la fin du roman.

Dosette de lecture n°127 : Barbey d’Aurevilly : « Un Prêtre marié ». L’extase frénétique.

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Prix du roman à St Xandre pour "Over the Rimbaud"

Publié le par Eric Bertrand

Sur les traces de Rimbaud et de sa jeune amante (fictive), la rebelle et passionnée Jeanne-Marie. Grâce au jury du salon "Le livre en fête" de St Xandre, mon roman "Over the Rimbaud" Éditions Hello a été récompensé hier du prix du roman. L’occasion m’est ainsi donnée d’échanger davantage avec les lecteurs à propos du voleur du feu de la lecture. Merci aux organisateurs. Le salon est ouvert aujourd'hui de 10h00 à 18h00, les 50 auteurs et exposants vous y attendent pour de savoureux temps d'échange.

 

Prix du roman à St Xandre pour "Over the Rimbaud"

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Dosette de lecture n°126 : Charles Juliet : « Lambeaux ». Les martyrs des mots

Publié le par Eric Bertrand

Comment l’écriture finit-elle par « pousser » dans la terre encore en friche d’un personnage dont le milieu et le contexte familial ne favorisent pas l’épanouissement ? Le récit de Charles Juliet s’intéresse d’abord aux deux femmes qui l’ont élevé, sa mère biologique, qu’il tutoie, une fille de la campagne dont l’existence est marquée par les épreuves et les renoncements, et sa mère adoptive qui a aussi compté pour lui : « l’esseulée et la vaillante, l’étouffée et la valeureuse, la jetée dans la fosse et la toute donnée ».

Puis il change de point de vue et s’intéresse au fils de « l’étouffée », qu’il tutoie aussi, et derrière ce fils, on reconnaît l’écrivain qui, tout en retraçant avec émotion et réalisme les fils de son existence, s’interroge sur cette envie d’écrire qui l’a longtemps habité, qui l’a fait souffrir avant de « sortir de la tourbe, ou de la boue ou bien encore d’un magma en fusion » avant qu’il ne parvienne à laisser percer la première plante.

« Tu veux écrire mais tu ignores tout de ce en quoi consiste l’écriture. De surcroît tu n’as strictement aucune culture. (…) Mais ce labeur à venir ne t’effraie pas. Tu as gardé ta mentalité de paysan. Avant de moissonner, d’abord labourer, herser, semer, rouler. »

Et c’est dans l’effort suprême de ce travail d’écriture qu’il trouve la voix de « Lambeaux », la voix qui donne aussi la parole à « la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots, ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance, ceux et celles qui s’acharnent à se punir de n’avoir jamais été aimés, ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr, ceux et celles qui n’ont jamais pu parler parce qu’ils n’ont jamais été écoutés… »

Dosette de lecture n°126 : Charles Juliet : « Lambeaux ».  Les martyrs des mots

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Dosette de lecture n°125 : Voltaire : « Micromégas ». La guerre pour la Terre ou la boue

Publié le par Eric Bertrand

D’où viennent toutes les guerres et pourquoi « des atomes intelligents, ayant si peu de matière et paraissant tout esprit » se comportent-ils comme « un assemblage de fous, de méchants et de malheureux » ? La question, hélas de sinistre actualité, est posée une fois de plus par Voltaire qui s’interroge souvent sur la guerre comme dans un chapitre fameux de son « Candide » ou un article de son « Dictionnaire philosophique ».

Dans le petit conte « Micromégas », il imagine le passage sur la Terre de deux géants qui voyagent dans l’espace et qui s’émerveillent d’abord de ce petit globe perdu dans l’immensité. L’occasion leur est donnée bien évidemment de rencontrer des hommes et d’assister au spectacle de la guerre qu’ils ne comprennent pas. Ils demandent alors « naïvement » des explications à un philosophe qui leur répond de la façon suivante : « Nous avons plus de matière qu’il ne nous en faut pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière, et trop d’esprit si le mal vient de l’esprit. Savez-vous bien par exemple qu’à l’heure que je vous parle, il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux qui tuent cent mille autres animaux couverts d’un turban, ou qui sont massacrés par eux ? »

La guerre serait-elle un mal nécessaire lié l’imparfaite nature humaine ? Par le truchement de son philosophe, Voltaire invoque une autre raison qui, elle aussi fait écho aux guerres d’aujourd’hui : « Il s’agit de quelques tas de boue grands comme votre talon. » La revendication des terres déchaîne en effet chez les dirigeants une folie picrocholienne pour reprendre un terme cher à Rabelais. Pas moins que l’enragé Picrochole dans « Gargantua », les « barbares sédentaires qui du fond de leur cabinet ordonnent le massacre d’un million d’hommes » ne méritent le respect des voyageurs stellaires qui pourraient bien aussi se demander pourquoi tous ces dirigeants ne conjuguent pas leurs efforts à sauver une planète que l’homme a mis en piteux état, au lieu de la détruire tous les jours un peu davantage…

Dosette de lecture n°125 : Voltaire : « Micromégas ». La guerre pour la Terre ou la boue

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