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Dosette de lecture n°137 : Philippe Lanson : « Le Lambeau », quand la vie ne tient plus qu’à un fil.

Publié le par Eric Bertrand

            Comment écrire après le traumatisme d’un massacre ? Et comment apprivoiser un corps meurtri, déréglé, étranger, incapable désormais de se projeter dans l’avenir, pas plus d’ailleurs que dans le passé. Le journaliste chroniqueur à Charlie Hebdo revient sur ce moment effroyable de l’attaque à sa rédaction, rue Nicolas Appert, attaque à laquelle il a miraculeusement survécu à ses collègues dont il revoit toujours le visage ensanglanté, « de l’autre côté de la rive ».
            De son côté, il est devenu ce « lambeau » de la chambre 106 que le personnel de l’hôpital et du service de stomatologie répare comme il peut, conscient de ce qu’il est devenu aux yeux des autres comme l’indiquent ces vers de Racine : « un horrible mélange / D’os et de chairs meurtris, et traînés dans la fange / Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux, / Que des chiens dévorants se disputaient entre eux. »
Commence alors le long et délicat processus de reconstruction ; tenter de le soigner, de lui refaire la mâchoire avec un morceau de péroné, c’est s’efforcer de « mettre du mécanique sur du vivant », et d’y insinuer le rire ou au moins le grincement de l’ironie. Le souvenir de ses collègues hante le narrateur ; Volinski, Bernard Maris, Tignous, Cabu sont toujours là et, avec ou sans Bergson, il ne peut se résoudre à cette idée que « soudain, ils ne riaient plus ».
              La chambre qu’il occupe l’écarte du monde réel, le ramène obstinément à son corps, à ses souffrances, à ces nécessaires et rituelles interventions chirurgicales que rythme le ballet familier des visiteurs et des infirmières.

 

 

 Dosette de lecture n°137 : Philippe Lanson : « Le Lambeau », quand la vie ne tient plus qu’à un fil.

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Dans l’atelier d’un livre, épisode 6 : lecture et dystopie

Publié le par Eric Bertrand

Nous avons évoqué la semaine dernière le vent de liberté que peut donner la lecture à partir du moment où le choix nous en est laissé. C’est une question essentielle que j’ai mise au centre de mon roman et que j’ai dramatisée dans le contexte particulier d’une « dystopie » : ce genre particulier qu’on présente comme l’inverse de l’utopie permet d’interroger quelques-unes de nos valeurs fondamentales souvent à travers le prisme d’un futur angoissant.
À ce sujet, je vous recommande, si vous ne le connaissez pas, un livre fondateur : « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury. L’auteur des excellentes « Chroniques martiennes » imagine un monde où les livres sont présentés comme dangereux pour l’autorité de l’État et, de fait, ils deviennent l’ennemi multiple qu’il faut détruire par le feu.
Bradbury n’est pas le premier auteur à avoir relevé « le danger » que contiennent tous ces livres qui posent un regard intelligent et lucide sur le monde et qui invitent ainsi le lecteur à une réflexion souvent décalée par rapport à la norme ou au discours ambiant. De fait, certains dirigeants ne se gênent pas pour monter sur leurs ergots et montrer du doigt « L’horrible danger de la lecture » (titre d’un conte de Voltaire). En effet, lorsque nous ouvrons un livre, lorsque nous nous enfermons avec lui, nous laissons monter en nous un ferment nouveau et sentons germer et se développer une sorte de poil à gratter qui nous incite à sortir de nous-mêmes et du mauvais rail.
C’est donc l’une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité situer mon histoire en 2050. Mes héroïnes étant trois lycéennes, (Chloé, Manon et Yasmine), ma réflexion passe notamment par le microcosme des collèges et des lycées. L’ancien prof que je suis revisite ce qu’il connaît et ne peut s’empêcher de poser un regard critique sur le monde de l’éducation !  Dans deux ou trois décennies, qu'adviendra-t-il de la lecture dans les établissements scolaires ? Aujourd’hui, les parents d’élèves déplorent que leurs enfants (qui, selon la plupart d’entre eux, lisaient beaucoup plus quand ils étaient petits) aient perdu le goût de la lecture, et ils reprochent son impuissance à l’institution, incapable, selon eux, de remettre de l’ordre dans la pagaille qu’ont introduite les réseaux sociaux et les smartphones.
La technologie progresse toujours plus, le numérique envahit l'espace et l'intelligence artificielle s’infiltre à tous les niveaux. Où en serons-nous en 2050 ? Et quelle place vont avoir les enseignants déjà si malmenés aujourd'hui ? Si j'ai réduit considérablement la part de la dystopie à l'intérieur de l'établissement (les fameuses 80 pages que j’évoquais dans un épisode précédent) j'ai gardé la perspective futuriste et j’examine plus largement cette société dans laquelle vivent Chloé, Manon et Yasmine et la place qu’elle accorde à la lecture après les nombreux bouleversements d'ordre moral et politique qui ont eu lieu. L’intelligence artificielle y joue un rôle non négligeable et ce sera le sujet de l’épisode 7 !
PS : des nouvelles de l’approche de mon livre ? Je commence à vous en dévoiler le contenu. Vous connaissez désormais les noms des personnages périphériques à l’histoire, vous savez aussi que le héros est un livre (j’aime bien, depuis « Dévalisée », donner la vie aux « objets inanimés ») ; voici maintenant le titre annoncé : « Lire ou pâlir à sa vue. » Je n’en dirai pas davantage sur le sens de ce titre, car une partie du contenu s’y dévoile. La semaine prochaine, je vous en dévoile la couverture qu’avec Antoine, le graphiste des éditions Hello, nous avons créée.

 

Dans l’atelier d’un livre, épisode 6 : lecture et dystopie

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Dosette de lecture n°136 : Olivier Rolin : « Méroé », Excavation de la mémoire.

Publié le par Eric Bertrand

                Comment trouver un sens aux sables du Soudan quand on est un écrivain isolé et mélancolique, profondément blessé depuis son installation dans ce « désert des Tartares » où ont jadis régné les Pharaons noirs ? Les ruines de l’ancien site de Méroé incitent le narrateur de ce roman à ce vague sentiment des ruines qui jadis ébranlait l’auteur des « Mémoires d’Outre-Tombe », si chères à Olivier Rolin.
               Désœuvré dans son hôtel à Khartoum, il médite en compagnie d’un pélican qui lui sert d’interlocuteur et de quelques voyageurs de passage sur les civilisations fantômes ou sur les prestigieux explorateurs dont certains recherchaient les sources du Nil « dans ce conservatoire torride, à l’écart des routes du monde… » ; et comme ces observations croisent celles de son passé déjà lointain et d’un amour perdu, il constate qu’ici « c’est la grande fabrique des masques mortuaires, l’atelier des momies vivantes. »

 

 

Dosette de lecture n°136 : Olivier Rolin : « Méroé », Excavation de la mémoire.

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De « L’homme à la tête de chou » à « Chambre 69 », épisode 6 et dernier épisode : de l’écriture pour le théâtre à l’écriture pour le roman

Publié le par Eric Bertrand

           L’écriture théâtrale a ses propres règles et ses exigences et raconter la même histoire par le biais de la narration permet de passer par un tout autre filtre, tout aussi intéressant. J’avais déjà pratiqué cette stratégie à l’occasion d’autres pièces – « Le Ceilidh », « Le Ponton », « L’Ile d’Après » – et éprouvé le même plaisir à jouer autrement avec les motifs de l’un et de l’autre genre.
           Avec ce livre paru chez Hello (https://www.helloeditions.fr/product/chambre-69/), le lecteur découvre les deux facettes : d’un côté, la pièce, telle qu’elle a été jouée devant le public de lycéens (même si les contraintes de durée et d’adaptabilité ont nécessité quelques coupures) ; elle est baptisée : « Le Piano du diable ». De l’autre, le roman baptisé : « Chambre 69 ». Cette version insiste davantage sur la psychologie du personnage principal alors que la pièce met en avant la montée du drame et la folie progressive qui s’empare du groupe. Si on s’appuie sur les titres, la pièce joue sur la capacité de la bien nommée Marilou à ensorceler le narrateur, ou du moins à rajeunir cet amoureux du « Portrait de Dorian Gray ». Le roman nous amène dans l’hôpital psychiatrique où, sur le lit de la chambre 69, une infirmière nommée Judith découvre le journal intime de son patient…
         Je termine ainsi cette série, si vous voulez en savoir plus, ouvrez le livre. Jusqu’au 31 décembre, votre exemplaire dédicacé franco de port sur simple demande, disponible aussi en librairie et chez l’éditeur.

 

 

 

De « L’homme à la tête de chou » à « Chambre 69 », épisode 6 et dernier épisode : de l’écriture pour le théâtre à l’écriture pour le roman

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Dans l’atelier d’un livre, épisode 5 : la relation aux livres.

Publié le par Eric Bertrand

               L’une des partenaires de cette aventure me confiait dans une réponse à l’un des épisodes précédents que, dans sa vie, la lecture n’allait pas de soi et que, du fait de la pression de l’école, ou d’un mauvais enseignant maniant le livre à la manière d’une baguette, loin d’être magique, cette dernière lui était devenue franchement rébarbative. Dans son « Chagrin d’école », l’ancien cancre Daniel Pennac le dit aussi très clairement : « Ce qu’on nous force à lire, on ne le lit pas, on ne l’avale pas ! » J’aime bien la formule de Montaigne au sujet de ces « nourritures » soi-disant spirituelles que sont les livres imposés : « C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée ».
                Pour lire, il faut en éprouver le besoin : l’une d’entre vous me parle de « thérapie » par le livre ; il faut également éprouver soif ou appétit, la fameuse « appétence » chère aux enseignants parfois trop zélés à vouloir faire ingurgiter n’importe quoi à leurs « apprenants ». Les plus touchants propos que j’ai entendus à propos de la lecture ont été ceux que m’ont tenus des « lecteurs tardifs », qui sont venus aux livres par hasard et, en aucune manière, sous l’effet de la force, de la torture ou du gavage. À ce propos, je me rappellerai toujours la rencontre faite un jour dans le Palais du Grand Large de St Malo où je me trouvais avec une classe de lycéens que j’avais emmenée au Festival « Étonnants voyageurs ».
                 Comme tous les lycéens, il y avait parmi eux des tièdes, des rétifs et des franchement hostiles à la lecture, et s’ils m’avaient suivi jusque-là, c’était parce qu’ils y étaient contraints et parce qu’ils rêvaient surtout aux ruelles, aux remparts, aux pirates et aux flibustiers. Mais parmi les corsaires de papier qui naviguaient plus bas entre les lignes, il y en eut un, cependant, qui parvint à capter leur attention en leur déclarant, tout à trac, que, jusqu’à l’âge de 20 ans, il n’avait jamais pris un livre entre les mains et que, sans l’épreuve de la prison, il n’aurait jamais lu ni écrit une seule phrase.
                  Cet écrivain s’appelait René Frégni, et c’est lui qui a su intéresser toute mon escouade d’élèves. Lui qui animait des ateliers d’écriture à la prison des Baumettes et qui en profitait pour montrer à ses auditeurs que la lecture pouvait du jour au lendemain tendre au prisonnier un merveilleux laissez-passer. Avec un seul livre, ce dernier pouvait, au bout de quelques lignes, écarter les barreaux, laisser filtrer dans sa cellule la fraicheur de la brise, se mettre à caresser la chevelure d’une femme, à sentir son odeur, à boire avec elle un verre de vin au goût des collines de Manosque…
                   On le voit, la lecture ouvre des fenêtres et, dans une société qui enferme et appauvrit l’individu, cela devient de plus en plus vrai. C’est le sujet de l’épisode à venir.

PS : des nouvelles du livre ?

Maintenant que la correction est terminée, restent la couverture et la quatrième de couverture dont je vais discuter avec l’équipe graphiste de la maison d’édition. C’est une étape essentielle pour accrocher le lecteur et tâcher de lui faire appréhender, en moins d’une minute, le contenu du roman. Je vous en dis davantage la semaine prochaine à propos du… titre !

 

 

Dans l’atelier d’un livre, épisode 5 : la relation aux livres.

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