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Dosette de lecture n°149 : Jean Rouaud : « Les Champs d’honneur », les gaz d’échappement de l’oubli.

Publié le par Eric Bertrand

               Que reste-t-il en mémoire de cette « Loire inférieure » où a grandi l’auteur ? Les marques de la pluie, crachin, brume de marée, averses de printemps, signes divers de l’eau, les mouettes de l’Atlantique qui refluent dans les terres, les gouttes qui filtrent à travers la carrosserie rincée de la 2CV du grand-père, sorte d’ex-voto d’une époque, comme la silhouette résistante de la grand-mère.  
               Les uns après les autres, le roman fait défiler les personnages hauts en couleurs et en même temps si fragiles et humains comme la petite tante institutrice et acharnée dans sa mission, ou bien les objets humbles ou dérisoires posés en décor dans la maison, dentiers, alliances des morts, vieilles photos qui renvoient peu à peu à la figure discrète du narrateur qui se penche « sur ses anciens ». 
              À force de creuser le sillon du Temps, la narration fait émerger le gaz nauséabond des « champs d’honneur » et la voix brisée derrière le souffle, les poumons brûlés sous la vareuse de Joseph ou sous celle de son frère Emile, dissocié de lui sur le monument aux morts, comme un vague cousin : « Nous n’avons jamais écouté ces vieillards de vingt ans dont le témoignage nous aiderait à remonter le chemin de l’horreur… »


 

Dosette de lecture n°149 : Jean Rouaud : « Les Champs d’honneur », les gaz d’échappement de l’oubli.

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Dosette de lecture n°148 : E-E Schmitt : « La Rêveuse d’Ostende », le miroir obsessionnel de la mémoire

Publié le par Eric Bertrand

Quelle vie improbable et inconnue de tous une vieille dame a-t-elle déjà vécue ? Quelles épreuves et quelles émotions a-t-elle pu traverser tout au long de sa vie quand elle n’avait pas la silhouette meurtrie et fatiguée qu’elle traine derrière elle aujourd’hui ? Baudelaire avait déjà longuement médité sur ces « petites vieilles », ces « êtres singuliers, décrépits et charmants, sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu » et lorsque, de passage à Ostende, le narrateur de cette nouvelle s’installe pour quelques jours dans une maison d’hôte face à la mer, il s’interroge sur le regard mélancolique de sa logeuse. Assise dans son fauteuil, usée, mélancolique, elle passe son temps à contempler la mer, le regard fixé à l’horizon des dunes.

Peu à peu mise en confiance par celui qu’elle sait être un écrivain, « un porteur de mensonges », elle consent à évoquer ce souvenir lumineux qui lui était venu, comme un mirage, par le sable de la plage, jadis, du temps qu’elle était jeune. Et ce souvenir n’est pas sans lien avec la création littéraire et avec ce que la vie peut offrir de plus précieux à une jeune fille rêveuse…

Avec beaucoup de brio, E.E Schmitt parvient à mettre son lecteur en haleine et à l’amener à s’asseoir aux côtés de la vieille dame pour… contempler la mer. Cette nouvelle qui donne son titre au recueil est suivie de quatre autres récits, tout autant surprenants : « La Guérison », « Crime parfait », « Les Mauvaises lectures », « La Femme au bouquet ».

 

Dosette de lecture n°148 : E-E Schmitt : « La Rêveuse d’Ostende », le miroir obsessionnel de la mémoire

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Dans l’atelier du livre, post-scriptum. De notre soif de livres vienne la délivrance…

Publié le par Eric Bertrand

Etant donné le grand bouleversement auquel nous sommes confrontés et les conséquences que cela peut avoir sur nos esprits et nos modes de pensée et de vie, et au moment où je commence à recevoir des retours de lecture, j’ai envie de rajouter un post-scriptum à « Lire ou pâlir à sa vue », roman qui, en effet, au lieu de se passer en 2050 *, pourrait aussi bien être situé en 2026-2030. Comme l’a dit un jour Lénine, homme de révolution, « Il y a des décennies où rien ne se passe et il y a des semaines où des décennies se produisent. »

Nous assistons, interloqués, à un grand carnaval dont le défilé ridicule et tragique continue son inaudible cahot. Les chars des actualités fracassent les ondes et les images, jettent les livres au feu, en changent les titres, en bannissent les mots déclarés interdits. Et dans ce chaos, les pauvres mots dégringolent. Certains sont écrasés, d’autres, plus retors, enfilent les masques du mensonge et de la contre-vérité et viennent jouer les pitres, s’exciter tout au long de nos rues, et bousculer nos marges.

Les idées hirsutes, braillardes et outrageusement maquillées sortent des hangars de la propagande et de l’IA et les rejoignent ; elles ont faim de révolution ; elles ont tout entendu, tout ramassé, tout avalé et elles poussent les hommes à se dépenailler. On les entend brailler à chaque coin de carrefour ; elles invitent le langage à retourner sa veste et elles font croire aux hommes qu’il est plus facile et plus viril de brandir des pancartes et de hurler des slogans que de choisir la voie sinueuse de la culture et de la réflexion : « La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force. » À la fin de 1984, le visionnaire Georges Orwell les avait déjà vues et entendues venir.  

Alors, pour cette raison, continuons à lire, à aller au théâtre, au cinéma, à nous informer et à nous émerveiller à la manière du personnage de Martin Eden qui, au début du beau roman de Jack London, avant de se lancer dans l’aventure des livres et du savoir, s’extasiait devant les vers du poète Swinburne : « Libérés de nos peurs et de nos espérances, de notre soif de vie vienne la délivrance ! »

Les mots de Mario Vargas Llosa que je citais la dernière fois ne disent pas autre chose : « La littérature reste le seul moyen opérant pour maîtriser le langage. Et le langage, c’est ce qui est fondamental. Le langage, c’est ce qui permet à votre pensée de s’organiser. Le langage, c’est ce qui déploie et structure votre imagination, régit votre sensibilité, vos émotions, vos passions. Et cette richesse, vous ne pouvez pas l’acquérir en regardant la télévision ou en voyant des films : c’est le roman, la poésie, les grands essais qui vous la donnent. Lire, c’est protester contre les insuffisances de la vie. Lire, c’est se mettre en état d’alerte permanent contre toute forme d’oppression, de tyrannie, c’est se blinder contre la manipulation de ceux qui veulent nous faire croire que vivre entre des barreaux, c’est vivre en sécurité (…) Un monde sans littérature serait un monde sans insolence. Un monde d’automates."

*A propos de 2050, date que j’ai choisie pour ma dystopie, il y a plusieurs raisons, mais l’une d’elles est la suivante : à la fin de 1984, dans cet appendice » où il analyse la fonction politique et sociale du fameux « novlangue », Orwell indique d’abord que les œuvres de Shakespeare, Milton, Swift, Byron, Dickens et d’autres vont être transformés et ajustés et puis il termine ainsi : « Il y avait aussi un nombre important de livres uniquement utilitaires – indispensables manuels techniques et autres – qui devaient subir le même sort. C’était principalement pour laisser à ce travail de traduction qui devait être préliminaire le temps de se faire que l’adaptation définitive du novlangue avait été fixée à cette date si tardive : 2050. »

Lecture ; société ; IA

Lecture ; société ; IA

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Dosette de lecture n°147 : M. Houellebecq : « La Possibilité d’une île » par le gué du récit.

Publié le par Eric Bertrand

Quel regard nos lointains descendants vont-ils poser sur notre dérisoire humanité ? L’auteur des « Particules élémentaires » affectionne tout particulièrement ce type de narration qui lui permet d’examiner avec la loupe de l’entomologiste l’animalité des hommes, leurs insuffisances et leur quête désespérée du bonheur et de l’amour.

Dans un temps éloigné du nôtre, après plusieurs cycles temporels, après la « Rectification Génétique Standard », des « néo humain », Daniel 23, puis Daniel 24, puis Daniel 25 « par duplication rigoureuse du code génétique et méditation sur le récit de vie du prédécesseur » commentent le récit de Daniel 1 (« lointain prédécesseur, infortuné comique »), humoriste à succès, capable de rire et de pleurer (facultés qu’ils ne parviennent d’ailleurs pas bien à comprendre.)

Daniel 1 est un homme mûr surtout obsédé par les jeunes filles et par les désirs qu’elles provoquent en lui au fil des années et du temps qui fait peu à peu baisser ses performances : « Pendant toute ma vie je ne m'étais intéressé qu'à ma bite ou à rien, maintenant ma bite était morte et j'étais en train de la suivre dans son funeste déclin, je n'avais que ce que je méritais. » Et de leur côté, les Daniel du futur cherchent à travers ce récit de vie à comprendre comment l’être humain, le « sauvage » dont il reste quelques exemplaires dégénérés, a toujours essayé d’échapper au syndrome de vieillissement qui empêche le corps de jouir : « La jeunesse était le temps du bonheur, sa saison unique… Plus tard ils connaitraient les tracas, le labeur, les responsabilités, les difficultés de l’existence… sans cesser d’assister, impuissants et honteux, à la dégradation irrémédiable, lente d’abord puis de plus en plus rapide de leur corps. »

Pour remédier à cette terrible perspective, il n’y a pour Daniel 1 que la nouvelle « religion », celle des Elohims, qui croient en la réincarnation et qui postulent que celle ou celui qui meurt laissera, le moment venu, la place à son propre clone : un clone plus jeune, plus vigoureux et prêt à se précipiter vers la vie et la reproduction.

 

Dosette de lecture n°147 : M. Houellebecq : « La Possibilité d’une île » par le gué du récit.

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Dans l’atelier d’un livre, dernier épisode : c’est la fin !

Publié le par Eric Bertrand

Déjà la fin de cette aventure qui a vu naître « Lire ou pâlir à sa vue ».

Quelques témoignages m’arrivent encore. Par exemple, cette lectrice qui évoque les Bibliothèques rose et verte (j’adorais moi aussi ces deux collections) à l’époque où il n’y avait ni tablette, ni écran, ni smartphone ou ce lecteur qui pense que, lisez bien mesdames, « les lectrices font mieux l'amour que les autres, parce qu’aux caresses, elles ajoutent les talents de l'imagination ». 

Quand vous lirez, rappelez-vous ces idées que nous avons rencontrées au fil des épisodes et relisez ces mots du grand écrivain péruvien Mario Vargas Llosa : « La littérature reste le seul moyen opérant pour maîtriser le langage. Et le langage, c’est ce qui est fondamental. Pas seulement pour vous permettre de vous exprimer d’une manière intelligente, nuancée, avec toutes les précisions que vous jugez nécessaires.

Le langage, c’est ce qui permet à votre pensée de s’organiser. Le langage, c’est ce qui déploie et structure votre imagination, régit votre sensibilité, vos émotions, vos passions. Et cette richesse, vous ne pouvez pas l’acquérir en regardant la télévision ou en voyant des films : c’est le roman, la poésie, les grands essais qui vous la donnent.

Lire, c’est protester contre les insuffisances de la vie. Lire, c’est se mettre en état d’alerte permanent contre toute forme d’oppression, de tyrannie, c’est se blinder contre la manipulation de ceux qui veulent nous faire croire que vivre entre des barreaux, c’est vivre en sécurité. La littérature vous fait désirer une autre vie, que la vie réelle ne peut pas vous donner, et forge donc des esprits critiques, épris d’idéal, tandis que l’extraordinaire machinerie audiovisuelle est là pour nous amuser et créer des sujets passifs et conformistes. Un monde sans littérature serait un monde sans insolence. Un monde d’automates."

Si cet échange de courriels s’achève ici, je vous retrouve bien vite, peut-être en chair et en os lors de mes signatures ou rencontres qui sont prévues à des dates que vous pouvez noter via cette page de mon site : https://ericbertrand-auteur.net/manifestations.htm

On peut se retrouver aussi dans « Lire ou pâlir à sa vue » où vous verrez comment la théorie passe à la fiction, ou bien dans les pages de mon blog : https://enlisant-enecrivant.net/ blog où je continue de vous parler de mes lectures tous les vendredis mais également de mes réactions face aux tourments du monde, et puis de mes créations à venir… mais ça, c’est une autre histoire, une autre vie. A bientôt.

 

Dans l’atelier d’un livre, dernier épisode : c’est la fin !

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