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livres

« La grammaire est une chanson douce » Erik Orsenna. (3/5)

Publié le par Eric Bertrand

             Comme la silhouette de Proust rencontrée hier semble vouloir l’indiquer, l’opération de mémoire est salutaire dans cette île et les deux îliens qui servent de guide à Jeanne et Thomas gardent en mémoire la tragédie d’une autre île désertée de l’archipel : les mots s’y sont vidés de leur contenu et le sable a tout envahi. Comme le constate l’un d’eux (et à travers lui l’auteur) chaque année, 25 langues meurent et avec elles, des mots, et la réalité qu’ils désignaient, la couleur qu’ils déposaient sur les choses...

             Plus dangereuse encore, la politique menée par le gouverneur, un certain Nécrole, qui brûle les mots et les livres afin de simplifier la langue, la rendre utilitaire. Cet aspect du livre est particulièrement pertinent quand on pense à tout ce qui est en train de se produire autour de nous dans les domaines de la société et de l’éducation.

              L’auteur du « Loft History 2084 » retrouve ici son cheval de bataille et toutes les mises en garde que l’ouvrage comportait contre les appauvrissements du langage. Je reviens demain sur cette dimension.   

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« La grammaire est une chanson douce » Erik Orsenna. (2/5)

Publié le par Eric Bertrand

             Sur la nouvelle île, après que la tempête ait balayé ses souvenirs d’écolière, Jeanne se réveille aux côtés de son frère et voit revenir en foule les mots : ceux du scrabble que rejettent les mouettes, ceux du dictionnaire qui remontent du fond des eaux avec leur définition... Elle ne se souvient de rien comme Hamlet qui a tout effacé de sa mémoire pour favoriser un « renouveau ». Mais l’île dans laquelle elle se trouve est une île propice au langage et à sa « reverdie ».

             Des mots, il y en a dans les boutiques qu’ils visitent en compagnie du Noir Henri et de son neveu, il y en a chez la très vieille dame dont le passe-temps favori est de ressusciter les plus anciens d’entre eux, mots en passe d’être oubliés et qu’elle fait redécouvrir aux enfants dans les pages du gros dictionnaire.

             L’île que nous fait découvrir Orsenna est une île utopique qui invite à redécouvrir la richesse d’un monde où les mots disent l’essentiel et où les personnes les plus influentes sont des originaux, des êtres tenaces, qui vivent dans leur bulle, un peu comme les personnages du « Petit Prince ». D’ailleurs, Jeanne échange quelques mots avec Saint Exupéry et puis avec Marcel Proust ! Ces deux maîtres ont un rôle essentiel à jouer car les choses ne vont pas de soi dans ce monde qui connaît aussi la violence. On y revient demain...

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« La grammaire est une chanson douce » d'Erik Orsenna (1/5)

Publié le par Eric Bertrand

              La narratrice s’appelle Jeanne, son frère Thomas. Elle a dix ans, a une institutrice amoureuse de La Fontaine et capable de commenter avec intelligence « le Loup et l’agneau » (par opposition avec la lecture qu’en propose une sinistre inspectrice de passage dans la classe)...

              C’est ainsi que commence le charmant petit roman d’Erik Orsenna : la grammaire est une chanson douce . Voici en tout cas de quoi attirer mon attention de lecteur moi qui suis en train justement de réfléchir aux relations entre les jeunes et leur enseignement et sur les diverses formes de pédagogie qu’on peut proposer aux élèves...

              De plus, ce qui ajoute encore un élément d’attraction (quand on sait les thèmes développés récemment dans ce blog !), pendant les vacances de Pâques, Jeanne fait une croisière en bateau et fait naufrage... Que découvre cette nouvelle Robinsonne sur l’île très particulière où elle met le pied ? Nous le verrons demain !

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Darwin et l’indécence

Publié le par Eric Bertrand

           L'un des aspects révolutionnaires de la pensée de Darwin réside dans la pensée de la sélection naturelle. Non seulement les espèces ne sont pas fixes, mais également se transforment et s'adaptent en fonction du milieu dans lequel elles se développent. Celles qui résistent sont celles qui s'adaptent. Et la question de la « nature » définie une fois pour toutes ne peut correspondre à ce point de vue (d'où le lever de bouclier théologique qui se dresse face à Darwin et qui lui aurait bien valu le bûcher dans d'autres temps !)

            Pour survivre dans la société de 2084, ceux des Indécents de la pièce qui s'allient aux autorités rentrent dans le moule (et, ce faisant, évitent le bûcher que promet Big Brother aux contrevenants...) et s'adaptent. En contrepartie, ils renoncent en même temps à tout ce qui faisait d'eux des hommes.

            Les conflits qui se livrent verbalement dans la fin de la pièce montrent que ceux qui refusent tiennent à garder leur identité profonde et rejettent catégoriquement une autre définition de l'humain.

            D'un côté, les Indécents sont du côté de Darwin, de l'autre, Big Brother et sa clique sont du côté de la fausse spiritualité, celle qui consiste à imposer le moule du socialement et politiquement correct. Ils s'indignent au nom de la Morale publique, réclament un type humain plus épuré, plus propre et transparent. Pour donner du poids à leurs propos, ils brandissent le spectre de l'actualité et jouent sur des effets d'annonce :

 

Big Brother : (Les membres du Conseil sont entrés solennellement) Mes chers collègues,  par bonheur, la maladie semble devoir nous débarrasser des individus de la caste des Indécents qui sortent d'ici. (Soudain familier et cynique) Mais dans notre mégabulle, grâce aux bons soins de notre chère scientifique 359 In Vitro, nous ne craignons rien ! L'heure est venue de profiter de l'opportunité, (il s'approche avec complicité de 359, s'installe sur le banc) de resserrer les mailles du filet et d'éliminer définitivement les derniers « primitifs » qui constituent encore un obstacle à notre conception de la civilisation totale.

 

Big Mother : « L'expansion qu'a connue ces dernières années le virus du Sida, loin d'être une calamité, est une grâce du ciel. Elle touche en effet exclusivement les milieux de ces hommes et femmes singes qui obéissent encore à des comportements arriérés et dégradants. Nous venons d'entendre quelques témoignages des pratiques écoeurantes auxquelles se livrent encore ces sauvages... »

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Darwin, Huxley, Bradbury et orwell

Publié le par Eric Bertrand

             2009 est l'année du bicentenaire de la naissance de Darwin ! L'occasion de réviser la pensée de ce grand chercheur audacieux ! Et quel rapport entre ce blog et Darwin ? (Toujours ce souci khâgneux de la problématique !)... Parce que c'est l'occasion de revenir aussi sur le fond de ma pièce philosophico-caustique écrite il y a quelque temps : « Loft History 2084 », diversement comprise et appréciée.

             Bien sûr il y avait dans cette pièce une référence au Loft et à la société dirigée par la téléréalité. Mais en même temps, la pièce mettait en scène une humanité en péril. Dans mon hypothèse initiale, je reprends l'héritage de Huxley et de Bradbury : en 2084, la société est dirigée par une instance inquiétante qui crée l'espèce humaine à son goût, une espèce insipide et docile incapable notamment de lire et donc de penser. Mais il subsiste quelques incorruptibles...

              Un certain Big Brother, dans la lignée directe du roman d'Orwell, livre une guerre sans merci à la caste qu'il désigne comme « Indécents » et ces derniers résistent malgré tout et profitent du Loft pour déclamer, sans vergogne, les textes extraits des Shakespeare et Marivaux... Mais l'audience n'est plus la même, la pression s'exerce sur le métier et certains d'entre eux consentent à se résigner pour survivre. C'est là qu'intervient Darwin et sa loi de la sélection des espèces en fonction du milieu... J'y reviens demain.

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