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livres

Relecture de Tigre en papier (5/5)

Publié le par Eric Bertrand

            Pour finir cette évocation de l’œuvre de Rolin, je vous laisserai sur la pointe mélancolique que constitue par exemple l’épisode qui relate les amours de Walter et Cosette...

           Il ne faisait pas bon, quand on faisait partie de la Cause, d’aimer et de verser dans le sentimentalisme rose... A cause des pressions diverses, Winter et Cosette ont dû se séparer et ne se sont jamais revus quand ils ont quitté leur petite maison du canal...

 

Winter à présent est un prof vieillissant pas encore tout à fait un vieux prof, mais c’est pour bientôt, il le sait, et il s’en fout, attend ça avec lassitude. Il est supposé enseigner les lettres, à Lille, à des petits loubards plus intéressés par les arts martiaux que par Baudelaire ou Apollinaire. Il est toujours pâle et fragile, ce qui ne contribue pas à renforcer le respect que lui consentent ses élèves, mais l’alcool a mis dans sa silhouette une enflure diffuse (...) Winter est un fantôme. Il n’a jamais oublié Cosette...

 

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Relecture de Tigre en papier (4/5)

Publié le par Eric Bertrand

              En même temps, le narrateur constate avec une froide lucidité à quel point le Temps « ce grand cachalot » comme il l’écrit a passé sur l’histoire et sur les visages. L’œuvre est beaucoup moins politique que proustienne.

              Avec le même savoureux humour que Proust, l’auteur brosse des portraits, évoque des situations qui oscillent entre le mélancolique et le grotesque.  Je cite ici un long extrait particulièrement acide qui se développe à partir du motif proustien de l’aquarium de Balbec.

 

              « Vieilles squames, épinoches tout en arrêtes, avec en proue un petit masque de peau tendue, cireleuse, dans quoi tournent des yeux inquiets, mérous, rascasses.

 

« Le temps vous a enfermés dans des outres de vieille peau, et vous êtes tous là à faire la course en sac »…

 

               Et le narrateur qui ne consent pas à se voir dans le même sac, lui qui s’identifiait au Ché du temps de sa splendeur ! 
     

               Collections d’ex-voto. Il y a en chacun de vous un organe, une faculté en quoi se concentre et s’affiche la maladie du temps, comme les bras cassés, les pieds-bots, les yeux aveugles, les goitres de fer blanc par lesquels la piété populaire en appelle à Dieu d’une disgrâce de la chair. Une partie de votre corps fait image et prière, une partie de chacun de vous est clouée au mur de la vie en muette supplication. Ces flétrissures dans les miroirs où vous vous rasez, vous maquillez, vous les avez vues éclore à la surface de vous (…) Yeux larmoyants, paupières enflées, festonnées, baldaquins… Cernes couleur de vieux jambon, couperose, tortillons pileux tirebouchonnant hors des narines, des oreilles, houpettes de cheveux comiquement hérissés, pâte à crêpe enveloppant les traits, fanons, tavelures, rides, pattes-d’oie, toutes ces cochonnerie, ce kit du devenir cadavre… Rien que pour la gueule… ne parlons pas du reste, catarrhe, jambes varriqueuses, panses flatulentes, bras en drapeau, vertèbres mal graissées, obligeant à marcher cassé comme un laquais, tout ce pitoyable bric à brac...


                  
Le texte donne ici dans la caricature. Mais cela n’empêche qu’à de nombreuses reprises, il verse dans le mélancolique et le pathétique... C’est ce qui lui donne une force supplémentaire. J’y reviens demain.

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Relecture de « Tigre en papier » (3/5)

Publié le par Eric Bertrand

                   Activisme maladroit en mai 68... Voici l’un des thèmes de ce récit dont la force consiste à tourner en dérision les actions prises fort au sérieux par une jeunesse que la fille de Treize a du mal à cerner... Quel écart en effet entre cette jeune fille et les jeunes de 68 ! Le texte dit en même temps le changement d’époque.

                   Derrière la jeunesse en révolte de 68, constate le narrateur, il y avait surtout une absence, une volonté de se hisser à la hauteur de modèles inaccessibles, un père mort en Indochine, un Jean Moulin, un Malraux qui s’engageait dans l’International. Et dans les faits, la joyeuse petite bande ralliée à « la Cause », les Fichaoui, Pompabière, La Chiasse, Momo Mange serrures, Reureu l’Hirsute, Barouf, ces Pieds Nickelés, ne sont des « tigres en papier » incapables de dépasser les coulisses d’un théâtre de Guignol.

                    Tous ne sont pas morts, comme certains d’entre eux, incapables de vivre dans le Présent. Le narrateur les a revus en compagnie de la fille de Treize à l’occasion du « bal des vioques ».

                     Ce « bal des vioches », c’est un autre grand moment du récit. J’y reviens demain !

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Relecture de « Tigre en papier » (2/5)

Publié le par Eric Bertrand

                 Le récit m’a immédiatement touché... Pour plusieurs raisons... Je crois que j’ai une dette envers Rolin, d’abord dans cette façon de prendre ses distances avec le « je » à travers un « tu », ensuite dans la volonté d’établir une confrontation entre deux époques et deux adolescences.

                  Un thème qui a fait mouche dans « Pour y voir Clerc » dans le sens où il fait sentir au lecteur l’écart qui sépare les générations. Le narrateur tente à plusieurs reprises d’expliquer à la fille de Treize la réalité des années 70. Alors que, subjectivement, on a l’impression que peu de temps a passé quand on écrit sur son passé ou sur le jeune homme qu’on était, objectivement, c’est le monde qui est autour qui a changé...

 

                   Internet n’existait pas, même pas les ordinateurs. Ni les périphs ni le TGV ni les portables ni le cable ni les walman ni même les répondeurs, tu te rends compte ? Les pavillons de Baltard ouvraient leurs parapluiesau-dessus du ventre de Paris, la télé était en noir et blanc, il n’y avait qu’une chaîne ou bien peut-être deux, tu ne te souviens plus, c’est tellement loin, si profondément enfoncé dans le puits du temps... Les supermarchés étaient une nouveauté, le PS un groupuscule, le PC on disait « le Parti », faisait 20% des voix ...


Et dans ce cadre, quelle jeunesse ? On y revient demain...  

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Relecture de Tigre en papier (1/5)

Publié le par Eric Bertrand

                 Il y a trois ans, j'ai découvert un ouvrage qui m'a fortement marqué et je suis en train de le relire avec la précieuse intervention de maw. Il s'agit de « Tigre en papier » d'Olivier Rolin. L'auteur revient avec causticité sur ses années de militantisme pendant les événements de 68. Il était alors meneur dans un groupuscule gauchiste et ce retour autobiographique qu'il réalise par l'écriture est un examen sans concession des idéaux d'une époque.

                 Le récit se présente à la façon d'un monologue que le narrateur tient en présence d'une jeune fille, « la fille de Treize », qui essaie de mieux connaître son père. Treize était le compagnon du narrateur, il est directement impliqué dans tous ces souvenirs des années qui réémergent.

                 L'une des originalités de cette autobiographie, c'est de suivre ces confidences au rythme de la progression, j'ai envie de dire « la suspension » de la DS « Remember ». Les deux protagonistes sont en effet installés sur le siège de cette voiture culte des années 70 (dont on reparle beaucoup en ce moment) et le récit épouse la progression sur le périph.

 

Te voilà devenu un ange, un vieil ange aux commandes du vaisseau Remember, vous avez à accomplir, la fille de Treize et toi, un programme d'expérimentation sur la mémoire en état d'apesanteur.

 

                  On continue la lecture demain, si vous le voulez bien !

 

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