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Des balais aux ballets

Publié le par Bertrand

Comme promis dans mon dernier article, je cède le clavier à Lou afin qu’elle nous présente la façon dont elle programme ses interventions non en tant que comédienne (et sorcière !) mais en tant que comédienne (et danseuse !). Nous avons déjà à plusieurs reprises évoqué cette complémentarité entre les arts qui constitue l’un des pôles de l’atelier et l’esprit de ce blog est aussi conçu dans l’idée de partage de l’expérience.
 
« Une fois n’est pas coutume, je prends les rênes de ce blog pour parler des variations dansées !
J’ai fini mardi, après avoir travaillé tout l’après midi, ces différentes interventions. Il y aura donc 3 variations et 1 ballet complet.
E Dans l’acte 1, scène 3, première intervention des 3 sorcières (Diana, Suzy et Lou). Lou invoque les sorcières « il nous faut des chats noirs et des balais » : à cet instant, nous danserons sur la fin du morceau « Avant que l’ombre » de Mylène Farmer (repère 4’56 à la fin) : le passage est très planant, avec une voix qui sourd et se plaint. Cette variation mélangera le jazz et les claquettes américaines.
E Dans l’acte 2, scène 1, les sorcières attendent dans le pub l’arrivée des autres acteurs. Lou s’impatiente : nerveuse, elle a hâte que le temps « avance » afin de pouvoir se retrouver (nous l’apprendrons plus tard) dans les bras de son amant, Ronald. C’est elle qui ouvre la scène : très vite, elle parle de danse et du « tango argentin qui (lui) remonte l’échine de la mémoire ». C’est une « sanguine », elle a du tempérament, et son trop plein de stress, elle va l’évacuer en dansant un tango avec claquettes ! J’ai découvert cette dimension des claquettes l’an passé lors d’un spectacle (sur les pieds !) proposé par Arlette : Alain, technicien du Moulin à Sons, qui joue aussi de l’accordéon, souhaitait que nous parvenions à mettre en place une variation sur un air de tango. Le résultat très inattendu m’a plu… rebelote donc cette année, avec un morceau de Gotam Project (tango « à la sauce » électro : surprenant et génial !).
Dans la scène 3, c’est le début de la soirée du ceilidh. Et comme tout ceilidh qui se respecte, c’est un ballet de claquettes irlandaises qui fait l’ouverture. Ici, ce sont mes « élèves » débutantes en claquettes qui danseront. Afin de faire plus de monde sur scène, les trois sorcières (qui passent leur temps à dire qu’elles aiment danser) se joindront au groupe. Ici, il s’agit d’un morceau gaélique de Run Rig, « De ne mi », qui mêle des instruments de musique traditionnels à des instruments électroniques. Le temps global de danse est de presque 5 minutes (comme d’habitude, j’ai été un peu loin…).
Enfin, dans la scène 7, les sorcières font leur apparition à la demande pressante de Georges Sinclair qui les invoque. Elles dansent sur « Fuck them all » (titre de circonstance… et très jubilatoire à l’image des sorcières !) de Mylène Farmer. La variation purement jazz débute avec le morceau et se poursuit jusqu’à la fin du premier refrain. Sur scène, la variation durera plus longtemps : Arlette a demandé à un chœur de chanter le refrain : celui-ci sera donc repris une fois. »
 
         Voilà donc ce qui concerne la « face technique et musicale ». Voyons demain la façon dont Lou envisage l’implication de ses danseuses dans la logique de la pièce et comment la danse peut apporter autre chose au texte… J’ai par exemple souvenir d’une belle complémentarité dans le spectacle du Tennessee club où le ballet sur « Quelque chose de Tennessee » montrait à sa façon ce qu’éprouvaient les trois chorégraphes.
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faune sauvage

Publié le par Bertrand

              Revenons à des thèmes plus joyeux attachés à l’Ecosse, et toujours en rapport avec ce séjour de mes amis lyonnais puisque c’est le fil directeur ces jours-ci. Des thèmes qui, on l’a vu, sont étroitement liés à la genèse du Ceilidh. Je reviens sur l’un des aspects que j’ai déjà signalés dans les articles précédents : la faune sauvage. J’ai notamment évoqué à propos du voyage vers la côte ouest les baleines et les orques qui passent le long des côtes dés le début de l’été (une crique à proximité de Wick s’appelle « Whaligoe », « la crique de la baleine » : « goe » est un suffixe d’origine nordique qui veut dire « le bout » et qu’on trouve partout dans les noms de lieux du secteur, Staxigoe, Papigoe, Shelligoe, Girnigoe… Les vikings ont colonisé ce coin de l’Ecosse (en même temps que les Orcades et Shetland plus au nord) , ce qui a marqué non seulement la toponymie mais aussi certains usages, coutumes, et jusqu’à la physionomie des habitants. Je cite à ce propos la première page du Ceilidh, version narrative :
 
« Dans les eaux du Pentland Firth, au seuil des Iles Orcades, se dresse depuis des siècles The Old Man of Hoy, pointe de falaise évincée du reste de la côte, poignard de roche rouge aiguisé d’eau de mer. Et de l’autre côté du Pentland Firth, s’étend la région sauvage du Caithness, à l’extrémité nord est de l’Ecosse. Terre battue par les vents, verte et mauve sous le soleil, quand les nuages s’absentent. Dans des temps anciens, les vikings ont fait de cette terre étrange leur hangar à blé. »
                        Voilà pour les baleines… Que le touriste en quête de clichés se rassure, il trouvera aussi dans cette région le fameux « Highland Beef », la vache à longs poils, espèce d’auroch sympathique et paisible qui porte dans le pelage la marque des rigueurs des Highlands ! Mais il y a aussi les troupeaux de biches et de cerfs dans la lande, l’aigle royal (« golden eagle »), les colonies de phoques, (je consacrerai un article aux phoques), les oiseaux, macareux, huitriers pies, guillemots et autres variétés d’oiseaux de mer…
              La partie « récit »  du Ceilidh insiste davantage que la pièce sur cet aspect (c’est d’ailleurs, on s’en souvient, l’une des raisons qui m’on amené à rédiger un récit à la suite de la pièce) : cependant, comme j’ai cherché à donner à la narration une densité en écho à la pièce, les descriptions sont très « économiques » et comportent davantage une fonction dramatique qu’une fonction pittoresque. Par exemple, dans le passage précédemment cité, on peut noter : poignard de roche rouge aiguisé d’eau de mer qui, bien évidemment, renvoie au couteau de Lady Macbeth, à celui de Rebecca, à celui de Lou… Dés le début, le drame est inscrit dans la narration et pèse comme une épée de Damoclès. On peut le mettre en rapport avec cet échange entre Rebecca et Ronald, dans l’une des scènes les plus intenses de la pièce (celle où Rebecca veut se jeter au bas de la falaise et où Ronald lui confie son odieux projet : il semble à nouveau que le paysage inscrive la violence dans le sang des personnages ):
 
« Ronald : (D’un geste vif, il parvient à la désarmer) Baisse ce couteau, je t’ai dit ! Maintenant, tu m’écoutes !...Quand tu es comme ça, tu me terrifies ! Avec toi, je ne sais jamais si tu es en train de jouer ou si tu dis la vérité !
Rebecca : (Dans un élan désespéré) Mais ouvre les yeux, Ronald, ouvre les yeux ! Cet endroit saigne la vérité brute ! La lande est mauve, le vent souffle dans les bruyères, la falaise est abrupte, l’océan gronde et le désespoir est partout autour de nous ! »
 
              Finissons sur une touche un peu plus sereine :
« Nuits de juin. A cette latitude, il ne fait jamais noir. Dés cinq heures, la clarté du matin tombe du ciel et éclaire la mer d’une lueur laiteuse. Les oiseaux jouent dans la vague et le temps est tranquille. La haute silhouette de Girnigoe and Sinclair Castles domine la falaise. Ackergill Tower équilibre l’horizon. »
Ce qui peut correspondre dans la pièce à la scène 1, plus sentimentale entre Max et Heather :
« Heather : Viens, Max, cours plus vite ! (Ils courent, arrivent à l’essoufflement) Ça y est, on y est ! C’est toi que j’aime Max ! Définitivement, c’est toi ! Attends, je te bande les yeux ! (Elle lui bande les yeux) Je vais enfin pouvoir te montrer mes deux châteaux et la petite plage de Girnigoe. Quel plaisir de revoir le pays ! Quand je suis revenue là avec Ronald, ce n’était pas si bien et ça n’a duré que quelques heures! C’est le ciel des Highlands, c’est la lande du Caithness et les odeurs de tourbe qui voltigent dans l’air ! Je suis chez moi, Max ! »
 
              Que l’espace des Highlands vous donne le souffle nécessaire ! Je vais respirer l’air iodé de la côte nord de la Bretagne et vous donne rendez vous samedi et dimanche pour la révélation en avant-première du contenu des ballets de Jenny et de leur intégration au spectacle. Elle vient d’y mettre un terme…

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Souvenir de Anne : bouteille à la mer au large de Girnigoe

Publié le par Bertrand

Partir pour un an à l’étranger quand on est étudiant, c’est toujours un peu difficile. On quitte ses parents, ses amis, ses repères et le confort que donne l’habitude des lieux et des personnes… Au moment de ma licence de lettres, j’avais tissé tout un réseau d’amis issus à la fois de mes années lycée à Bourgoin (38), des cours en hypokhâgne et khâgne du lycée Edouard Herriot, des cours à la fac de Lyon 2, des établissements scolaires que je continuais de fréquenter comme pion, et des deux villes entre lesquelles je voyageais, Lyon et Saint Jean de Bournay tout près de mon village.
              A Saint Jean, je faisais partie d’un groupe théâtre, aux côtés notamment de Red Paskal et de Girl Pascale, de Véronique et de Frédérique. Anne, celle que mon copain Joël, qui était amoureux de sa blondeur et de ses yeux bleus, appelait pour des raisons obscures, « son petit lézard vert », Anne avait appartenu à ce groupe théâtre. Elle était un peu plus jeune que moi. Elle passait en terminale lorsque je me suis exilé.
              Je l’ai revue une dernière fois pendant les vacances de Noël 83.
              Elle rêvait de venir en Ecosse. Ses yeux brillaient quand je lui parlais de mon voyage en auto-stop aux Etats-Unis. L’auto-stop, elle aimait ça…Pour l’aventure, le côté rencontre. Elle était généreuse. Elle rêvait de missions humanitaires.
              Par désespoir, l’été suivant, ses parents sont partis sur les routes du monde comme médecins sans frontières…
              Elle allait passer son bac comme on passe sur une autre rive. C’était pour elle simplement une escale. Elle voulait ensuite rejoindre le Népal, le Tibet. Elle avait un côté Alexandra David Néel, un côté Théodore Monod. Elle aimait ramasser les pierres dans le double prisme de son oeil et de sa main…
 
              Un jour de mars qu’elle rentrait du lycée de Villefontaine, elle a fait du stop. Elle est montée dans la camionnette d’un plâtrier. Le printemps semait les petites fleurs jaunes qu’elle aimait dans les prairies. Elle avait un petit sac à dos en toile où elle mettait ses cours comme elle aurait mis des cartes d’état major et des boussoles.
              La gendarmerie a d’abord retrouvé le sac à dos, tâché de sang…
 
              Du côté de Wick, c’était le soir. L’ambiance du feu de tourbe. Du vent en tourbillon dans la cheminée. Un plat de porridge sur le fourneau. Comme tous les soirs au moment du repas, les infos sur France Inter. A la latitude où je me trouve, je parviens tout de même à capter et je trouve des idées pour mes élèves (c’est la tâche classique de l’assistant de français…)
              19h00. La voix grave du journaliste : « scénario de l’horreur, une jeune lycéenne originaire de l’Isère sauvagement violée et assassinée… »
 
              L’enterrement a eu lieu le premier samedi des vacances de Pâques. Véronique et Frédérique étaient ses plus proches amies. Les trois Pascal les ont soutenus à la cérémonie. Et puis ils ont le lendemain sauté dans le car qui devait les amener à Wick où je les attendais.
Notre premier contact a été dans l’émotion et l’anxiété. Grands yeux bouleversés. Traits tirés. «Eric, est-ce que tu as su ce qui est arrivé à Anne ? » Bien sûr que j’avais tout appris dans le désarroi de ma solitude…
              Et j’avais réfléchi, et j’avais participé à distance à cette intense cérémonie d’adieu à la malheureuse. Ils avaient mis des fleurs, des petits mots sur la tombe. Il nous restait une chose à faire : aller déposer au pied de Girnigoe, afin que les mots s’en aillent au gré des flots, une bouteille remplie de toutes nos dernières pensées pour Anne… Et la bouteille jetée du haut de la falaise a rejoint les courants du large. Ceux qui conjuguent l’eau salée et les larmes, le Destin et l’écriture sur une page blanche.
 
             L’une des fonctions essentielles de l’écriture est à mon sens de parvenir à évacuer les traumatismes. L’épisode de la bouteille dans le Ceilidh permet sans doute de ressusciter autrement la figure tragique d’Anne, tout comme dans les Nouvelles pour l’été, (Aléas, 2005) le récit appelé « coup de foudre et coup de poignard » (dont la violence surprend toujours certains lecteurs) avait déjà commencé l’opération.
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Bouteille à la mer

Publié le par Bertrand

                "La bouteille à la mer"... Ce n’est pas qu’un accessoire de scène, un motif littéraire… C’est un souvenir douloureux de l’Ecosse, mais il m’a marqué profondément et maintenant que j’en suis à relater les aventures liées à la proximité de Girnigoe, je retrouve cet épisode de la bouteille à la mer… Il y a un passage important autour de ce thème dans le Ceilidh et j’en livre ici quelques clés : relisons d’abord le passage qui se situe toujours à la scène 10 de l’acte 2 et qui met aux prises les sorcières, juste après la mort de John et Georges Sinclair :
 
« Suzy : Bientôt, la silhouette de Fiona va s’élever au-dessus du flot et revenir hanter l’espace de la plage ! (Amère, montrant le cadavre de John) Et c’est celui-là qu’elle va encore appeler !... (Elle s’allonge à son côté) En attendant qu’elle règle ses affaires avec l’au-delà, je me trouve finalement assez bien ici !
Diana : (Elle saisit la bouteille de whisky, porte sa bouche au goulot et fait un geste désappointé) Eh ben, il a pas laissé une goutte ! (En aparté) Mais ma parole ! Ils ont mis du whisky là-dedans ! Sheumas devait mettre du thé glacé dans la bouteille !
Suzy : (Elle reprend la bouteille) Laisse ça, veux-tu ! Tu sais bien que je fais la collection des bouteilles vides !
Diana : (Elle reprend la bouteille) Redonne-moi cette bouteille ! Tu sais bien que la bouteille, ça me connaît !
Suzy : (Elle reprend la bouteille) C’est moi qui ai eu l’idée la première !
Diana : (Elle reprend la bouteille) J’ai un droit explicite sur les bouteilles !
Suzy : Ah bon, et on peut savoir pourquoi ?
Diana : Qui est-ce qui, depuis la nuit des temps, s’est crevée à ramasser les bouteilles des naufrageurs ? Vas-y voir un peu dans la Grotte de la Sirène, de l’autre côté de la Baie des Sinclair ! 
Suzy : (Elle reprend la bouteille) C’est pas la même chose ! Regarde ! Il n’y a pas de petit billet à l’intérieur ! Pas de révélation fracassante dans l’éclat de verre !...
Diana :(Elle reprend la bouteille) Une bonne fois pour toutes, donne-moi ça ! (Avec un air de connaisseuse) ... Juste de l’alcool évaporé ! L’alcool, c’est de l’encre sympathique… Par transparence, moi je sais lire!... Approche-toi, rends-toi utile pour une fois !
(Elles se réconcilient et prennent un air inspiré)
Suzy : (S’adressant au public) Laissez-nous rêver à l’avenir des hommes !
Diana : Aujourd’hui,Girnigoe n’est plus qu’une ruine !
Suzy : Un cimetière ! Un endroit de corbeaux !
Diana : (Elle lui dérobe une nouvelle fois la bouteille) Donne-moi ça ! Tu ne sais pas lire dans les bouteilles !
Suzy : (Excédée) Eh ben, tu peux la garder ta bouteille ! (Elle sort de scène) »
 
              Lorsque j’ai écrit cette scène, je voulais :
-         Mettre de la bouffonnerie (au cœur de la tragédie).
-         Présenter une scène pitoyable de dispute au sujet d’une misérable bouteille vide autour des cadavres.
-         Rappeler les penchants alcooliques de Diana.
-         Jouer sur les connotations de la transparence du verre, boule de cristal qui permet aux sorcières de lire l’avenir…
              Mais il y a autre chose, de beaucoup plus enfoui, et je m’en rends compte moi-même après coup, comme je m’en étais rendu compte à la suite de l’écriture d’une des Nouvelles pour l’été sur laquelle je reviendrai. Je laisse cette piste à ceux qui aiment mettre en rapport le passé et l’œuvre écrite…C’est, en tout état de cause, un souvenir qui me hante. En voici les faits. (Article à venir demain)
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La nuit à Girnigoe

Publié le par Bertrand

Rendez vous avec John Sinclair…
              Dans la série des aventures en Ecosse avec les copains lyonnais venus me voir en avril…
              Une première visite en journée a déjà eu lieu dés le lendemain de leur arrivée à Wick : Ackergill et Girnigoe dans la foulée, avec le récit des histoires attachées à l’un et à l’autre des châteaux, et puis une ascension à la corde à nœuds dans la salle située à l’étage (car il y avait une corde à nœuds qui pendait à même le rempart et qui ajoutait à la dimension sinistre de l’endroit !) puis un thé, un feu de tourbe à Bételgeuse pour se réchauffer, un peu de Run Rig et de Mike Oldfield et la promesse de revenir sur les lieux, mais la nuit, afin de traquer le fantôme !...
 
              Il est 22 heures, nous avons avalé nos pâtes, la nuit est épaisse. Coup de téléphone à un taxi (Frédérique souffre de la cheville et ne se sent pas capable de marcher jusque là-bas). « 25 Glamis Road please !... six people. »
              C’est une voiture noire qui glisse devant Bételgeuse, une sorte de véhicule lunaire, à moins que nous ne soyons déjà tous dans la lune !
              Les cinq autres s’entassent à l’arrière et je monte à l’avant pour indiquer la destination : « Girnigoe Castle ». Est-ce le mot, la chose, la nuit, l’excitation qui crée l’effet ? J’ai une voix curieusement sépulcrale quand je dis ça ! En tout cas, c’est réussi, les autres pouffent dans mon dos ! Sans commentaire, le chauffeur s’exécute. Nous roulons sous la nuit sans étoiles.
              Le taxi se gare à côté du terre-plein par lequel on accède au sentier qui mène à Girnigoe. « Five pounds please ! » et le chauffeur se dérobe. Plus de bruit que la rumeur de la mer. Pascal et moi soutenons Frédérique, et nous avançons dans la lande, pas rassurés tout de même !
              Girnigoe la nuit est le repère des goélands. Nous en réveillons un qui s’envole sous notre nez et pousse un cri agressif. Les oiseaux d’Hitchcock ! Ou la réincarnation des êtres en souffrance qu’on appelle des « fantômes » ? Ses ailes sont blanches. Le coup d’ailes claque dans l’air comme un drap. Cette affinité des spectres et des oiseaux de nuit, nous la retrouvons dans un échange entre Diana et Lou à la scène 10 de l’acte 2 :
 
« Lou : Vous êtes des sorcières hystériques ! Moi, je suis une sorcière raisonnable ! (Méprisante) Vous finissez par prendre la grosse tête à monter sur vos grands chevaux, à courir la lande, à rôder sur les rivages, à traîner dans le sillage des mouettes !
Diana : Et toi, tu ressembles à un vieux spectre ! Tu hantes les cimetières et les ruines, tu t’assois sur les tombes et tu fais la conversation aux corbeaux ! »
 
              Le cachot est l’endroit névralgique de Girnigoe castle. Toute la tragédie s’est nouée là. C’est là que John Sinclair a agonisé dans les circonstances que relatent assez fidèlement la pièce et le récit. On y accède par le petit escalier au bas duquel on glisse sur le sol froid et humide dans une pénombre totale. Nous avons une lampe de poche. Les marques « No Hope ! » sont effectivement gravées dans la pierre et alimentent la légende et les frissons... Le bruit tenace de la mer au bas du château…La bouteille que l’on confie au flot… Acte rituel désespéré que nous accomplissons, moment d’émotion terrible sur lequel je reviendrai demain…
              Nous tremblons de larmes, de froid ou de fatigue. Frédérique. Véronique. Pascal, Paskal, Pascale… (Ces variations sur le même nom ont beaucoup amusé les Ecossais qui ont trouvé des surnoms plus commodes : Big Pascal », parce qu’il est grand, « red Paskal », parce qu’il porte un pantalon rouge et « girl Pascale »…
              Red Paskal est le plaisantin de la bande, il cherche à ramener le rire. Il hasarde une blague. Il en a toujours en réserve dans la besace… On s’écarte du bâtiment. On fait des mouvements pour se réchauffer. Pas réjouissant finalement de passer la nuit là ! Il y a du vent qui pénètre sous les anoraks. Un souffle glacé et pas de lumière, pas de feu. Une petite bruine glacée commence à tomber. John Sinclair ne viendra pas ! C’est presque tant mieux ! Quand on frémit, on gémit plus facilement, surtout quand ça devient un jeu de substitution !
              Je suis déçu tout de même, mais qu’espérais-je ? Frédérique, peut être la plus impressionnable avertit le groupe : elle a beaucoup moins mal à la cheville. Une heure de marche à pied, ça peut se faire, surtout si on suit une route goudronnée, et si les lumières de la ville nous y convient !
 
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